NIHILISME CONSOMMATOIRE

Article paru dans le numéro de Blah Blah Metal (magazine édité par la FNAC) en mai 1992.


La pop a glissé vers des rivages durs. Mais ne faut-il voir en Napalm Death, que cette simple partie du message, que ce morceau de l'iceberg, que cette fausse simplicité d'expression que les amateurs de maniérisme y verraient ?

Sous des dehors frustres et un aspect de chapelle, se cachent plus de malices et de sens que certaines musiques délétères. Premièrement, c'est de la musique tout bêtement, et ils communiquent avec le reste de la planète dans leur langage et avec leur code. Ils ont construit un univers de communication complexe car l'avenir est dur, entre un monde dominé par la corruption et les différentes sociales plus fortes qu'auparavant. Rien n'est laissé au hasard, l'ensemble est loin d'être bancal et anarchique. Napalm Death est un groupe à thèmes et même de prise de conscience de classe. Car quelle issue est offerte aux futurs héros des anciennes classes ouvrières triomphantes ? Aujourd'hui le front ultime est atteint et l'avenir laisse plutôt entrevoir des reculs plutôt que des conquêtes. Les dernières barrières cèdent, mais l'espoir existe et demeure car vouloir améliorer permet de se surpasser.
Il existe donc un énorme antagonisme dans l'attitude contestataire et le fait de vivre grâce aux revenus d'un groupe de rock. Ils, Napalm Death, vivent parfaitement ces ambiguïtés et lentement sèment des graines qui poussent partout à leur image. Car il est évident que le système est pourri, que tout est vermoulu, que les gens ne s'intéressent qu'à eux et à la protection de leur nid douillet. Il est grand temps de dénoncer tout ça. Voilà un rapide résumé de l'attitude philosophique du bassiste et du chanteur de Napalm Death.

Nous sommes à Birmingham, il est neuf heures du matin, il pleut et la température au dehors tourne autour de quatre degrés. Nous nous sommes retrouvés par erreur et par hasard là ce matin. Dans un petit salon, meublé d'affiches de concert de Sepultura, Public Enemy et de Red Hot Chili Peppers, le bassiste tiré de son lit, très gentiment alors qu'il est pieds nus nous propose l'éternel thé. Dans la nuit, une rafale de vent a emporté quelques tuiles et il pleut à l'intérieur de la cuisine. Les plops de gouttes d'eau meublent le silence embrumé des acteurs devant l'art du thé. Coup de sonnette, le chanteur arrive l'air tout étonné, mais sourit et trouve la situation relativement drôle, car il n'arrête pas de me dire, ok tout va bien. Timidement, je trouve les mots qui vont lancer la conversation sur autre chose que l'état du temps, la pluie et la température intérieure. Nouveau coup de sonnette et les américains du groupe sont là. Sans état d'âme, ils passent dans la cuisine et s'assoient face aux projecteurs pour la séance photo. Ils sont tellement pas réveillés qu'ils acceptent tout sans un mot. Le bassiste me raconte brièvement son parcours dans l'existence : il a vingt-deux ans, les études se sont rapidement terminées, il a tâté de l'usine un an environ et ça lui a largement suffit. Plus question d'y retourner sauf pour un concert ! Tout le cinéma rédactionnel lié au death metal, c'est un truc de journaliste, il s'en fout éperdument, tout est né spontanément et tout se fait sans complexe. Car n'oublions pas, ils jouent d'instruments de musique modernes et électriques : basse, batterie, guitares et chant.

Tant mieux s'il y a osmose d'idées entre eux. Vivant dans un monde où l'extrême est tangible, ils créent la musique de l'extrême. Car l'adage de base pour la participation est d'écouter et pas d'entendre. Entendre n'est pas participer, écouter c'est jouer. Tout est poussé à fond, et sous une apparente uniformité, sous de faux semblants techniques, cachés par une innocente confusion, Napalm Death défie le vieux monde de ses coups de butoirs sonores. Dans ce bruit de fond palpite l'espoir, on attend à ce qu'il surgisse d'un coup devant nous et alors tout serait calme. Mais avant que la dernière salve ne résonne, il faudra entrer dans le fleuve et se baigner dans le Napalm vivant. Vous sentirez toute l'énergie de la création du cosmos vous transpercer, vous vous déstructurerez et vous vous recomposerez un nouveau corps. Essayez de jouer de la batterie à cette vitesse une heure durant, tenez la basse et alignez distinctement cette hypnose rythmique, chantez dans un style linéaire et faites avancer les plaques d'acier par votre seule force de persuasion, seulement soutenu par deux guitares jouant à l'unisson. Après un tel martelage, une force nouvelle complètement vidée de toute haine naîtra dans vos veines et le fracas des décibels n'aura plus l'odeur du napalm car le passage de la mort vers la vie aura eu lieu. Le rock n'est pas mort ; il a pris un sacré virage avec ces bambins de Napalm Death.

Le message est facile à suivre, on peut jouer encore plus vite et l'enregistrer. On assume la totale revendication des paroles, on n'a rien à voir avec les trips sataniques ou nazis. On est bien sur notre label et on ne veut pas mourir d'avances massives d'une compagnie de disques. Alors que la séance photo se termine, que les cinq membres du groupe ont posé pour la postérité, la discussion est toujours très animée avec le chanteur et dernier gag de cette extraordinaire matinée, il m'avoue avoir été contacté par The House Of Love pour que Napalm Death assure une première partie. Tout arrive. Le mot de la fin : "On vit entièrement de notre travail".

(Web : une musique délétère : Pernicieuse, dangereuse)


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