RETOUR VERS LE FUTUR
Interview de Shane Embury par Michele Dicuonzo,
parue dans le fanzine italien DistortioN de novembre / décembre 1998
Nouvel album pour les Britanniques de Napalm Death, à peine un an après leur précédent opus, et nouvelle performance, amplement méritée, comme vous pourrez le lire dans la section 'chroniques de disques' de ce même magazine où il est élu "album du mois" (web : la chronique fait une page entière !). Napalm est un des groupes de métal les plus importants de la scène métal mondiale, et c'est le pilier du grindcore, une forme d'expression musicale sans compromis qui est jouée à la vitesse de la lumière. Ils jouent depuis une décennie et sont restés fidèles à leurs racines et à leurs fans de la première heure (ils se sont aussi acoquinés avec une personne imminente au sein de la musique avant-gardiste, le jazzman non orthodoxe John Zorn, ainsi qu'avec des personnalités réputées telles que le fameux John Peel) mais ont toujours proposé quelque chose de nouveau, disque après disque. Leur secret réside probablement dans leur capacité à ne pas céder à la facilité, en renforçant leurs tempos avec la ferme volonté de progresser musicalement. Paradoxalement, le nouveau disque, "Words From The Exit Wound", nous fait faire un voyage dans le temps car c'est, au fond, un album de death metal classique, mais il faudrait plutôt parler de "retour vers le futur" dans le cas présent, particulièrement à cause des innovations que contient ce nouveau disque : des ambiances à la Voïvod, des riffs dissonants pas si éloignés du néo-métal que ça, et des plans mid tempo pachydermiques qui font penser à la tendance power metal du moment. Nous avons parlé de tout ça et de bien d'autres choses avec le très aimable Shane Embury, véritable pilier d'un état d'esprit d'indépendance musicale mais également leader historique du groupe de Birmingham - il y joue depuis 11 ans ! - On lui a dit quelle était la politique de DistortioN et on a voulu aller un peu plus au fond, approfondir le profil du personnage. Mais passons immédiatement au récit des faits...
Salut Shane, comment vas-tu ?
Bien, merci, et toi ?
Tout est OK en ce qui me concerne. Allez, Shane, parlons du
nouvel album, "Words From The Exit Wound", qui d'après moi est le
meilleur disque que Napalm ait sorti. Es-tu d'accord avec moi ?
Tu vois, c'est difficile de répondre à cette question
maintenant. Généralement, tous les groupes disent ça à propos de leur dernier album.
Je préfère dire que durant la phase de composition, je me suis senti vraiment à fond
dans la musique, plus que sur les disques précédents. Je suppose que c'est la meilleure
réponse que je puisses te donner.
Pourrais-tu nous éclairer sur la signification de la
pochette et du titre de l'album ?
Tout d'abord, la pochette du CD promo que tu possèdes est
très différente de celle qui finira sur le disque, car le type qui s'occupe de l'artwork
vient d'apporter les dernières modifications. Mais l'idée directrice de cette pochette
est la représentation du chaos ; elle ne fait pas directement référence au contexte
social, mais les influences négatives proviennent de partout, comme la pression d'un
groupe religieux ou des choses de ce genre... Pour ma part, je considère qu'un contexte
apparemment négatif, chaotique, peut donner lieu à des valeurs positives. Quant au
titre, c'est un concept un peu plus direct que celui de "Diatribes", en
le considérant d'un certain point de vue : ce n'est pas fondamentalement un concept. Il
parle de l'affrontement des arguments opposés. Ca revêt des aspects divers, des
engueulades insignifiantes entre potes - mais on peut prendre l'idée de "relations
tronquées" comme métaphore - jusqu'au déclenchement d'une guerre. Ca se rapporte
aussi à l'ambiance négative qu'il y avait dans le groupe à l'époque du split.
J'ai trouvé la production de Colin Richardson vraiment
superbe. J'aimerai connaître ton opinion à ce sujet...
Je la trouve très sophistiquée. On avait déjà travaillé
avec Colin, c'est un bon ami à nous et il n'y a pas de meilleur producteur que lui pour
un album de Napalm. Il est très disponible, et ce sous tous les aspects ; par exemple,
quand, après avoir composé et répété, nous sommes rentrés en studio, nous avons
échangé nos opinions sur le nouveau matériel et nous savions que si un problème se
présentait, nous pouvions nous reposer sur son expérience.
Quelles sont les différences principales entre ce disque et
son prédécesseur, "Inside The Torn Apart" ?
Hum... Je crois que la différence principale, c'est que ce
nouvel enregistrement est globalement plus rapide que le précédent, il paraît plus
agressif et direct, les tempos de batterie sont nettement plus rapides !
Je dirai aussi plus puissants...
Oui, je pense que cela confère plus d'impact. Il sonne un
peu comme "ITTA" mais l'histoire est différente. Cette fois-ci, nous
voulions insuffler une nouvelle énergie au groupe, avec le retour de Barney et, surtout,
le fait qu'il soit plus satisfait que par le passé. Aujourd'hui, notre amitié est
beaucoup plus forte. Barney a joué un grand rôle dans l'élaboration de ce disque grâce
à ses vocaux, il a désormais plus confiance en lui. Personnellement, je trouve qu'il
chante vraiment bien sur cet album.
Combien de temps avez-vous mis pour élaborer "Words
From The Exit Wound" ?
Quasiment dix mois pour écrire l'album. "Clutching
At Barbs", par exemple, est une chanson qui a été écrite à la dernière
minute, alors que nous étions en studio. Les sessions d'enregistrement ont duré deux
semaines, dont neuf jours exclusivement consacrés au mixage, tout s'est fait très
rapidement. Evidemment, travailler avec Colin présente des avantages certains car il
connaît bien notre style de musique.
Dis-moi, Shane, j'ai l'impression que ce disque renferme des
parties beaucoup plus lentes que sur les précédents albums, ça donne encore plus de
dynamique. Qu'en penses-tu ?
Et bien, je pense que cette fois-ci, nous avons
particulièrement soigné la production. Nous voulions obtenir un son de guitare beaucoup
plus puissant que par le passé. On s'est énormément investi dans le processus
d'enregistrement pour tirer le meilleur de nous-mêmes, et on a cherché à rendre le tout
le plus heavy possible, mais avant tout je pense définitivement que nous nous améliorons
en tant que compositeurs : on se focalise sur des riffs plus simples, ça permet d'aérer
le tissu sonore, de pouvoir entendre la moindre note, sinon ça a tendance à être
confus. Je crois, en définitive, que nous écrivons de meilleurs chansons.
Alors, Shane, pouvons-nous passer à une analyse un peu plus
approfondie du disque, chanson par chanson, en indiquant la signification de chaque texte
?
Certainement ! On commence par "The
Infiltraitor". Les textes se réfèrent à la situation que nous connaissons
actuellement en Angleterre avec le Labour Party et son représentant, Tony Blair. C'est
quelqu'un qui n'a pas tenu ses promesses. En ce qui concerne la musique, ça peut faire
penser à "Mass Appeal Madness" (un EP ultraheavy sorti en 91, ndrl). "Repression
Out Of Uniform" traite de ceux qui prétendent monter la garde en Angleterre
avec des pratiques fascistes. Musicalement, elle est assez spéciale, plutôt différente
du style propre à Napalm, mais elle reste très agressive. "Next Of Kin To
Chaos" est une chanson qui débute par un riff death metal classique, mais lors
du break, elle présente une série d'harmonies nouvelles pour nous. D'un point de vue
textuel, c'est une chanson qui parle de la solitude, du tunnel de la dépression, du
sentiment de distance par rapport à tout ce qui se passe dans le monde. C'est un
problème que beaucoup de gens semblent rencontrer. "Trio-Degradable"
est une intro qui contient un bref texte de Barney relatif aux personnes humiliées ou
victimes de ségrégation. Elle s'enchaîne à "Affixed By Disconscern"
écrite par Mitch et qui concerne ce qu'il imagine être une conspiration gouvernementale
organisée à l'échelon mondial et dont l'ultimatum serait fixé pour l'an 2000, c'est à
dire dans un futur proche. "Cleanse Impure" parle de la mentalité
raciste des gens, de la ségrégation sociale causée par la différence de couleur de
peau. C'est un argument que nous avons souvent développé, et musicalement, ça rappelle
un peu Nailbomb, c'est très puissant. "Devouring Depraved" montre le
mauvais côté des talk-shows, qui sont assez populaires en ce moment. Je trouve ça
vraiment triste, tous ces gens qui regardent la télévision et, surtout, s'immiscent dans
la vie privé des autres et assistent à des drames. Ca me fait penser à du voyeurisme
collectif. On doit en finir avec ça. "Ulterior Exterior" parle des
tentatives de juguler l'opinion publique en la réprimant, qu'il s'agisse des ouvriers ou
des intellectuels. Encore une fois, c'est un thème que nous avions déjà abordé dans le
passé. "None The Wiser ?" est de Barney, il y analyse ses sentiments
de confusion par rapport au monde du disque. "Clutching At Barbs" est
encore de Barney. Lui, en plus de faire partie de Napalm, travaille depuis longtemps comme
journaliste. Je crois que les paroles traitent de son évolution personnelle, il a passé
pas mal de temps pour les écrire. Il exprime son point de vue lorsqu'il rédige un texte.
Puis "Incendiary Incoming" et "Thrown Down A Rope"
traitent également de certaines formes de fascisme et de racisme, plus ou moins dures à
subir suivant les cas. Ce ne sont jamais des problèmes faciles à résoudre. Enfin, "Sceptic
In Perspective" fait référence à la machine de l'industrie musicale.
D'après, pratiquement toutes les musiques qui cartonnent actuellement sont
préfabriquées.
Bien. Au bout du compte, quelles sont tes chansons
préférées ?
En ce moment, j'aime bien "Next Of Kin To
Chaos", "The Infiltraitor", "Represion Out Of Uniform",
"Cleanse Impure", probablement "None The Wiser ?". Je
les aime toutes, mais celles que je viens de te citer sont mes favorites.
Dans quelle direction le son de Napalm a-t-il évolué
pendant toutes ces années ?
Je crois que notre son a évolué grâce à
l'expérimentation de certaines harmonies à la guitare et à l'utilisation de types
d'accords différents, tout en gardant les éléments traditionnels de Napalm. Je crois
que nous avons toujours évité de tomber dans les stéréotypes. Notre manière de
composer s'améliore avec le temps. Nous avons toujours voulu garder notre son typique
tout en l'intégrant de temps en temps à la nouvelle direction que nous avons empruntée.
"Next Of Kin To Chaos" m'a fait penser à
certains structures guitaristiques de Voïvod. Tu reconnais cette influence ?
Et bien, effectivement, ce type de sons est directement
influencé de tels groupes noise. Sachant que Voïvod est un de mes groupes préférés,
je peux te confirmer que c'est une grosse source d'inspiration pour moi. J'ai toujours
été un grand fan de Voïvod, et surtout j'admire le fait qu'ils ont toujours proposé de
nouvelles choses, ce qui est bien.
Alors que "Diatribes" nous emmenait vers
des territoires sonores proches de Sonic Youth / Unsane, "Words From The Exit
Wound" me semble plutôt être un album de death metal classique, dans la
lignée d'un Bolt Thrower. Es-tu d'accord avec moi ?
Il est plus agressif, plus direct. C'est toujours difficile
pour moi de parler de l'orientation d'un de nos albums. On cherchait à faire quelque
chose de plus simple, c'est la raison pour laquelle nous avons moins expérimenté que sur
les disques antérieurs. Toutefois, il présente une progression mais je pense en
définitive que c'est un album plus direct, plus immédiat.
Est-ce que cet album peut être un succès ?
Si les gens reconnaissent que ce disque représente une
étape importante dans l'histoire de Napalm, alors nous serons satisfaits. On essaie de
rendre chaque disque meilleur que son prédécesseur mais c'est difficile de prévoir le
résultat final "au sein" du groupe ; dans ce cas-là, pour répondre à ta
question, je pense que nous avons fait un pas en avant par rapport à l'album précédent
et nous en sommes fiers.
Mais, en toute sincérité, à quel point le succès
commercial est-il important pour vous ?
Ca dépend ce que tu entends par "succès". Je veux
dire, nous faisons des tournées depuis de nombreuses années, nous rencontrons beaucoup
de gens qui nous témoignent un grand respect ; la question, ce n'est pas de faire plus de
bénéfices, en somme. Un jour, lorsque tout ceci sera fini, je trouverai un autre boulot.
Pour moi, le succès, c'est de faire des tournées dans le monde entier et de rencontrer
tous ces fans : cela me suffit amplement.
LA SUITE POUR BIENTÔT (l'interview est
deux fois plus longue ! !)