MON PIRE ENNEMI

Interview de Shane et Barney menée par Olivier Badin, parue dans le numéro de Hard'n'Heavy de décembre 2000.

Certains choses ne changent jamais et c'est pour cela que nous les apprécions. Dans un monde de compromis et de soumission, Napalm Death apparaît comme une oasis de rébellion au milieu du désert. Après une période d'instabilité, la deuxième institution anglaise après Motorhead se plaît à nous rappeler qu'il est bien l'Enemy Of The Music Business.


On pensait bien avoir fait le tour de la question Napalm depuis quelques albums. Scum ou Utopia Banished nous avaient, certes, presque fait oublier que nous avions affaire à des humains mais, depuis, le constat semblait irrévocable et surtout cruellement... humain. : vaincu par la lassitude et l'âge (peu de groupes pouvant se targuer de faire une musique aussi extrême depuis aussi longtemps), Napalm Death était, hélas, en train de glisser doucement vers une porte de pré-retraite. Sauf que, sans prévenir, le EP Leaders Not Followers, parti s'abreuver dans une source de jouvence hardcore et punk et, surtout, le neuvième album studio du groupe, sorti le mois dernier, Enemy Of The Music Business, révélaient, sans marquer pourtant de réelle révolution musicale, un Napalm plus assoiffé que jamais. Un exploit double, aussi bien sur le plan musical que sur le plan personnel, le groupe ayant réussi à conserve coûte que coûte son intégrité. Rencontre avec un Mark "Barney" Greenway plus "straight-edge" que jamais (pas d'alcool, pas de tabac, pas de viande) et Shane Embury (beaucoup d'alcool, beaucoup de substances illicites et beaucoup de viande) extrêmement décontracté avant leur premier concert parisien en tête d'affiche depuis plusieurs années.

RETOUR DE NAPALM
Il ne semble pas à l'heure actuelle exister une seule mauvaise critique à l'encontre de Enemy Of The Music Business et tout le monde parle du "retour de Napalm"...
Barney : Mais nous ne sommes jamais vraiment partis (rires) ! Les circonstances de ces dernières années, en premier lieu tous les problèmes avec notre premier label, que tout le monde connaît , mais aussi des problèmes de management, ont vraiment joué contre nous. Même si notre créativité était toujours vivace, on avait toujours l'impression de pisser contre le vent. Je te mentirais si je te disais que le moral des troupes n'était pas plutôt en baisse ces dernières années ! Nous avons donc ressenti un réelle soulagement à partir du moment où nous avons réussi à nous débarrasser de tous ces boulets et cet album s'est nourri de cette énergie.
Shane : Je crois que l'on peut appeler cela de l'enthousiasme. Depuis deux ans, tellement de merde nous était tombé dessus que nous étions pressés de pouvoir tout balancer dans notre musique qui est redevenue hyper-agressive.

En contrepartie, certaines des rares expérimentations de Inside The Torn Apart et Words From The Exit Wound ont disparu...
Barney : Dans le cas des vocaux clairs que tu peux retrouver sur Words..., déjà, à l'époque, je ne pensais pas que c'était une bonne idée. Nous ne savions plus trop où nous en étions alors et nous cherchions une porte de sortie. Avec le recul, je pense que ces expérimentations sont venus d'un manque de confiance en nous.

DANGEREUSES INTERFERENCES
En cette période troublée, les projets parallèles (Meathook Seed, Little Giant Drug, Lock Up) ont pullulé, ce qui n'a pas manqué de semer le doute sur votre désir de continuer l'aventure Napalm Death...
Shane : Il n'était pas prévu que cela interfère avec la carrière de Napalm. Nous nous sommes retrouvés avec un peu de temps disponible car, mis à part faire la première partie de Cradle Of Filth, nous n'avons pratiquement pas tourné pour Words... C'était une période de transition où chacun avait besoin de faire le point et certains en ont profité pour faire des choses totalement différentes. Mais Napalm Death est toujours resté notre priorité.

Le plus étrange est que les gens se sont remis à croire en vous suite au mini CD Leaders Not Followers. Or, celui-ci ne contient aucun morceau écrit par ND ! N'est-ce pas frustrant de retrouver une certaine popularité grâce à des titres écrits pas d'autres ?
Shane : Je pense que le concept derrière Leaders Not Followers était unique. Personne ne s'attendait à ce que nous fassions un disque uniquement composé de reprises et encore moins de reprises de ces groupes-là ! Nous n'avons pas choisi ces titres pour rendre hommage à tous ces groupes mais pour expliquer aux gens ce qui avait façonné le son Napalm. Et je pense sincèrement que le gens ont été avant tout frappés par la passion qu'il y avait derrière ces interprétations.

SEUL CONTRE TOUS
Derrière la crise qui vous a secoués, n'y avait-il pas la crainte d'un Napalm ne faisant plus peur et désormais fondu dans le paysage musical ?
Shane : Nous avons la conscience tranquille. Personnellement, je ne pense pas avoir changé. J'ai toujours les mêmes convictions. Beaucoup de groupes auraient cédé sous la pression que nous avons subie ces dernières années mais nous y avons survécu et cela nous a rendu plus forts.

Quand vous avez joué à la BBC il y a un an et demi à une heure de grande écoute, n'était-ce pas un peu puéril de votre part de n'interpréter que de vieux titres très grindcore ?
Shane : Mais ce sont eux qui nous l'ont demandé ! Pour eux, Napalm Death est toujours ce groupe de tarés qui fait des morceaux de quinze secondes. Ils ont toujours à l'esprit l'émission Heavy Metal Arena qui avait été diffusée en 1989 (une émission devenue culte où le line-up historique de From Enslavement To Obliteration, soit Lee Dorrian (futur Cathedral), Mick Haris, Bill Steer (futur Carcass) et le tout jeune Shane Embury répondaient à une longue interview entrecoupée de nombreux extraits live - ndr). D'un côté, ce n'est pas désagréable. Par contre, que pour les médias grand public rien n'ait changé depuis dix ans dans Napalm Death est plus gênant.

KILLING IS MY BUSINESS
N'est-ce pas non plus hypocrite de titrer son album Enemy Of The Music Business alors que nous sommes ici en train de faire des interviews, que vous vendez à vos concerts des T-shirts à l'effigie du groupe, bref, que vous jouez finalement le jeu du " music business " ?
Barney : Tout n'est pas aussi manichéen. Nous ne voulons pas nous mesurer naïvement au système en espérant le faire tomber. Ce qui est important, c'est de garder une certaine liberté d'action au sein de ce système. C'est clair que si quelqu'un essaye de nous dicter ce que nous avons à faire, on l'enverra chier. Nous restons farouchement indépendants.
Shane : Nous n'hésitons d'ailleurs pas à donner des conseils à ces jeunes groupes qui, parfois, viennent nous voir. Sortir un disque est une fantastique aventure mais il faut toujours veiller à relire deux fois le contrat que tu es sur le point de signer. Ce n'est pas pour rien que tous les textes de notre nouvel album traitent d'ailleurs de l'enfer que nous avons vécu ces dernières années.

Pourquoi ne pas avoir délibérément choisi de fonctionner en autogestion totale comme certains groupes ?
Shane : Quand j'était plus jeune, j'avais cette vision romantique du monde de la musique, où tes convictions et ta bonne volonté suffisent pour réussir. Il faut être lucide : on ne peut pas tout faire. Ce qui est possible pour un petit groupe ne l'est pas forcément pour nous. Napalm Death est notre activité principale et surtout notre gagne-pain. Dans notre cas, on ne parle pas de faire un concert par mois dans un squat paumé mais bien de mettre en place des tournées entières, de jouer à l'étranger et de faire de la promotion. S'occuper de tout cela nous-mêmes est impossible.

La nouvelle vague hardcore-metal internationale vous revendique comme l'une de ses influences majeures. Certains groupes comme les suisses de Nostromo reprennent même sur disque certains de vos titres. Quels sont vos sentiments ?
Barney : Nous avons toujours eu un public très varié, surtout ici en Europe. Cela va du vieux punk au métalleux de base et ce, depuis dix ans. Même si dés l'époque de Harmony Corruption qui était très orienté death metal, nous tournions déjà avec Sick Of It All, c'est vrai que nous avons joué de plus en plus, ces dernières années, avec des groupes de harcore. Le hardcore a toujours fait partie de nos influences et, visiblement, les gens ne s'en sont rendus compte que depuis peu.

DINOSAURES DU METAL ?
A travers votre extraordinaire longévité se pose une question qui ne s'est jamais posée jusqu'à maintenant dans le métal extrême. Comment réussir à conjuguer l'âge et une musique aussi... entière ?
Barney : C'est évident que nous n'avons plus vingt ans. Mais j'ai toujours été contre le fait d'associer un style de musique à une époque précise. Qu'est-ce que c'est que cette connerie de traiter certains groupes de "dinosaures du rock" ? ! La bonne musique n'a pas d'âge.

Tu avoueras quand même que faire du grindcore est quelque chose de très générationnel !
Barney : Tu peux avoir trente ans et toujours être aussi furieux. C'est faux de penser que l'on s'assagit forcément avec l'âge. La vie t'offre hélas toujours un paquet de raisons de vouloir te rebeller, que tu aies quinze ou cinquante ans.
Shane : Quand cela fait dix ans que ta maison de disque t'encule, je peux te garantir que tu es toujours aussi énervé (rires) !

Si un jour l'aventure Napalm Death se termine, qu'en retiendrez-vous ?
Barney : Je serai très fier de ce que nous avons accompli et, surtout, de ne pas avoir cédé au conformisme ambiant. Mais je crois que l'heure du bilan est encore très loin...


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