FRERES D'ARMES

Interview de Barney et Yngwie Malmsteen menée par Jean-Pierre Sabouret, parue dans le Hard'n'Heavy de janvier 2001

De but en blanc, on aurait cru la chose tout à fait impensable, les deux hommes n'ayant, en apparence, absolument rien en commun. Yngwie J. Malmsteen, le guitar-hero suédois, et Mark "Barney" Greenway, le chanteur de Napalm Death qui causent ensemble ? C'est possible et c'est dans Hard'n'Heavy.

La scène paraissait en effet des plus surréalistes, dans ce salon cossu de cet hôtel grand luxe londonien où le hurleur de Napalm Death se retrouvait en tête-à-tête avec le guitariste le plus influent depuis Van Halen, le premier expliquant au second qu'il possède une bonne soixantaine de ses disques, y compris des pictures discs découpés et qu'il lui voue une admiration sans bornes. Lorsque le représentant du label, Dream Catcher, nous avait juré qu'on assisterait à rien de moins qu'une rencontre au sommet entre ses deux principales signatures, on avait même pensé à un canular. Il n'en demeure pas moins que Barney est un inconditionnel de Malmsteen et que Sa Seigneurie éprouve le plus grand respect pour la démarche sans compromis de Napalm Death. De plus, un sujet les rapproche en ce début de millénaire. Ils sont tous deux très remontés contre un business musical qui a bien failli avoir leur peau à la fin de la décennie passée. L'un l'affiche clairement avec son Enemy Of The Music Business (Napalm Death), et l'autre y consacre la chanson titre de son War To End All Wars. Moralité, Barney et Yngwie se retrouvent enrôlés dans le même combat.


AU-DELA DU ROCK'N'ROLL
Yngwie : Tous les mecs qui prétendent tout savoir feraient mieux de la fermer. Je ne peux parler que de mon cas, mais je suis persuadé que l'exemple de Barney se rapproche du mien. Ce que nous défendons va au-delà du rock'n'roll. C'est une voix intérieure très forte qui nous permet de surmonter toutes les épreuves et surtout d'ignorer les modes superficielles et tout ce qu'elles entraînent . Si on reste fidèle à cette attitude, peu importe ce que les gens pensent ou ce qui est en vogue, si tu es "in" ou "out". Pour moi le métal en général n'obéit à aucune loi, il défie le temps...
Barney : Tu as tout à fait raison, je ne peux pas blairer ceux qui donnent même l'impression que les musiciens deviennent des criminels parce qu'ils continuent à jouer leur truc. Tous ces mecs qui vont t'expliquer qu'on n'en a plus rien à battre de Deep Purple et qu'ils devraient arrêter. Mais merde, on leur doit toujours autant de respect aujourd'hui qu'il y a vingt ou trente ans. Qui d'entre nous serait là aujourd'hui sans ces groupes ? Mon groupe préféré a toujours été Motörhead et, même si je suis toujours resté très critique à son égard, je n'admets pas qu'on le juge de façon catégorique. Chacun a le droit d'avoir son opinion mais il ne faut pas en abuser...

UN ALBUM TRES MALMSTEENESQUE
On n'est jamais servi si bien que par soi-même, alors à vous de jouer et de présenter votre nouvel album l'un à l'autre. Yngwie, Barney est l'un de tes plus grands fans, que va-t-il trouver sur War To End All Wars ?
Yngwie : Je dirais avant tout que c'est un album très malmsteenesque. On reconnaîtra mon style même si j'ai cherché à repousser mes limites comme jamais auparavant. Mais l'essentiel reste que dés le premier morceau, on ne pourra pas me confondre avec quelqu'un d'autre. Même si sur un titre comme "Crucify", on trouve des parties de sitar, du tabla et plein d'autres effets curieux, ou si les cœurs ont été très travaillés, dans la veine d'un Queen... Le morceau qui a donné son titre à l'album et qui le résume assez bien, "War To End All Wars", est un parallèle que j'ai fait entre la guerre et tous les problèmes que j'ai connus dans ce milieu pourri ces dernières années. Tu ne vas pas le croire, mais le dernier morceau est un pur reggae.
Barney : Je n'arrive pas à le croire...
Yngwie : C'est plus une blague qu'autre chose. Un de mes meilleurs amis chante dans un groupe qui s'appelle P'lice, qui ne joue que des reprises de Police. On était en studio, un soir, avec deux ou trois verres dans le nez, et je lui ai soumis cette compo dont je ne savais pas trop quoi faire jusque là. On l'a enregistrée aussi sec et j'ai finalement choisi de la garder pour l'album...
Barney : Une fois de temps en temps, ça ne fait pas de mal de se laisser aller un peu... Je voulais te demander si tu avais laissé un peu plus les musiciens s'exprimer, faire quelques adaptations, cette fois...
Yngwie : Non, ahaha !
Barney : Je dois dire que nous avons deux méthodes tout à fait différentes, c'est le moins qu'on puisse dire. Je ne sais pas si tu connais nos albums, mais nos styles peuvent sembler tout à fait opposés. Cela étant, nous avons rencontré le même genre d'incompréhension dans le climat musical actuel. Et même si on revient sur l'ensemble de nos carrières respectives, je dirais que nous avons réussi à survivre à toutes les vagues qui étaient censés nous balayer.

SECONDE PEAU
Il est vrai que même à vos débuts, vous n'avez jamais eu droit à un qualificatif de "néo" ceci ou "new" cela...
Yngwie : Nous n'avons jamais eu besoin de ce genre d'arguments. La musique, telle que nous la concevons, est infiniment plus profonde...
Barney : Il s'agit presque d'une seconde peau. Je sais qu'Yngwie joue depuis son plus jeune âge et Napalm Death existe depuis 1981. Cela fait un sacré bout. En cela notre album reflète nos plus sincères convictions. Lesquelles sont encore et toujours d'aller au plus loin de nos possibilités en matière d'extrêmes. Un, parce que c'est dans notre nature, et deux parce que nous retirons un plaisir suprême à emmerder le monde. On ne pourra pas parler de travail mélodique au sens propre du terme, mais la solidité et l'agressivité sont encore plus évidentes. Napalm reste un groupe qui peut jouer à cent à l'heure tout en restant ultra précis.
Yngwie : Vous enregistrer en live tous ensemble ?
Barney : On peut dire ça dans la mesure où nous enregistrons la batterie avec des guitares basiques de placement et que nous réenregistrons à nouveau les guitares par dessus.
Yngwie : Vous utilisez un click pour le tempo ?
Barney : Non, notre batteur est vraiment fiable et nous n'avons pas besoin de lui donner des repères. Pareil pour notre bassiste. Il a dû enregistrer toutes ses parties en deux ou trois heures. Je tiens à préciser que notre musique est indissociable des textes. Nous avons grandi dans un milieu ouvrier où la politique est omniprésente. Je sais que ce n'est pas trop ton truc, mis à part ce qui concerne la politique pratiquée par l'industrie musicale. Je prendrai "(The Public Gets) What The Public Doesn't Want" (le public obtient ce qu'il ne désire pas)...
Yngwie : Je trouve ce titre excellent !
Barney : Cela ne concerne pas que la musique, mais de façon plus générale, cela évoque cette société qui emploie tous les moyens pour forcer les gens à obéir à d'autres choix que les leurs... Sinon, tu risques d'être déçu car il n'y a pas le moindre solo sur l'album !
Yngwie : C'est pas vrai ! ! !
Barney : Même si on a deux guitaristes, ils ne vont jamais au-delà de quelques lignes instrumentales. On n'a pas besoin de plus, ça marche comme ça chez nous...

On est d'autant plus surpris d'apprendre que tu suis de très près la carrière d'Yngwie.
Barney : J'ai toujours adoré ce que fait Yngwie, je possède tous les albums, même ceux de Steeler ou Alcatrazz (les tous premiers groupes de Malmsteen, au début des années 80 - ndrl)...
Yngwie : Je ne les ai même pas !
Barney : Quand j'aime quelque chose, je suis du genre à tout rechercher. Je dois avoir en tout soixante ou soixante-dix disques... J'avoue même qu'il y a quelques pirates dans le lot.
Yngwie : J'ai vu une liste de bootlegs au Japon, je n'arrivais pas à y croire, elle était longue comme le bras...


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