BLIND TEST

Interview de Shane menée par Charlélie Arnaud, paru dans le Hard'n'Heavy de mars 2005


Passer un après-midi autour de Napalm Death ? Oh non… Interviewer Shane Embury ? Nous l’avons déjà fait à plusieurs reprises. Ecouter le nouvel album, en avant-première ? A quoi bon ? On va le recevoir dans quelques semaines. Et voir le groupe interpréter ses nouveaux morceaux en live pour la première fois ? Encore un coup à se faire marcher sur les pieds… C’est vraiment pour vous faire plaisir, et à contrecoeur, que nous avons répondu à l’invitation teutonne des bouchers anglais. Faut savoir se sacrifier, dans la vie…

Abricot sur le clafoutis, un employé de Century Media venu nous chercher à notre arrivée en gare de Cologne nous annonce sans ambages que nous allons devoir nous taper une heure de voiture jusqu’à Bochum, entassés à cinq dans un break avec, entre autres (tenez-vous bien) Jeff Walker (l’ex-leader de Carcass, venu spécialement d’Angleterre pour l’occasion). Trop dur. Après avoir vérifié qu’aucun train ne nous permettait de repartir aussi sec, nous nous installons pour soixante minutes de trajet autoroutier émaillées par les plaisanteries typiquement british de Jeff (qui semble croire que ça nous fait rire et qu’on a envie de discuter avec lui).

Une fois rendus à bon port, nous pénétrons dans le théâtre des événements de la journée : un night-club immense, sur trois étages, baptisé « Matrix », et construit dans une sorte d’usine désaffectée. L’endroit impressionne d’emblée, avec ses extérieurs aussi accueillants que l’entrée de Fleury-Mérogis (une prison parisienne célèbre). A l’intérieur en revanche, les différentes salles font penser à la Loco (une boîte / salle de concerts parisienne célèbre) en plus grand.


Locomatrix
C’est tout d’abord à l’étage supérieur que nous nous rendons pour l’écoute de l’album et la rencontre avec les musiciens. Barney accueille chaleureusement la trentaine de journalistes présents, tout sourire, avec son physique de grand gaillard sportif, et glisse quelques mots d’introduction au héros du jour : l’album « The Code Is Red… Long Live The Code », dont on nous distribue le tracklisting. Puis, sans crier gare, la sono du bar se met à cracher durant trois quarts d’heure les quinze nouveaux titres des charcutiers de Birmingham. Or, ces nouveaux titres sont bons. Très, très bons, même. Et voilà : même pas moyen de se lâcher et de critiquer à tout va (l’activité préférée du journaliste quand il ne cire pas les pompes des artistes). Si bien que le temps passe vite, et qu’au bout que quarante-cinq minutes, une envie se fait pressante : se le réécouter une nouvelle fois. Mais nos hôtes britons ne semblent pas l’entendre de cette oreille et préfèrent nous livrer à l’open-bar, où nous attendent boissons à volonté et encas typiquement germaniques pendant qu’eux-mêmes entament la valse des interviews. Nous en profitons pour taper le bout de gras avec les mecs de Maroon. Le groupe de metalcore allemand, en bon compagnon de son label, est venu ouvrir pour Napalm Death. Les jeunes musiciens, à l’instar des personnes présentes, sont conquis par le nouvel album des équarisseurs d’outre-Manche. Tous des moutons, ces jeunes.
Puis vient, enfin, notre tour d’être invité à la table de Shane. Le bassiste trapu nous salue avec bonhomie et nous explique qu’il a assez peu participé à la gestation de « T.C.I.R… L.L.T.C. » (ça, c’est de l’abrégé !).
« A peine Danny avait-il enregistré ses parties de batterie que j’ai posé mes lignes de basse avant de m’envoler aux Etats-Unis pour deux mois. Comme nous avions bien bossé le truc en amont, j’étais vraiment confiant quant au résultat final. »

Shane alimentaire
Depuis le début de l’après-midi, les rumeurs et le bouche-à-oreille concernant l’absence de Jesse Pintado ont évidemment fait douze fois le tour de la salle : nous nous décidons donc à soumettre le sujet à l’un des principaux intéressés afin de connaître le fin mot de l’histoire, et savoir si, oui ou non, le guitariste en proie à de très sérieux problèmes d’intoxication alcoolique, a toujours sa place parmi les tripiers de la perfide Albion : « A l’heure actuelle, je répondrais par la négative, confie Shane sans plus de détours. Jesse est notre ami, plus que cela même, et nous préférerions évidemment l’avoir à nos côtés aujourd’hui, tout comme nous aurions préféré enregistrer cet album avec lui. Mais ce n’est pas possible, pas dans ces conditions. Lorsque je serai plus vieux, quand j’aurai 55 ou 60 ans, j’aimerais que l’on passe des bons moments ensemble (Grave, et visiblement ému) Je ne voudrais pas avoir à me souvenir de lui. Alors, aujourd’hui, bien sûr, tout le monde aimerait le voir dans Napalm Death, et vous êtes tous très gentils de demander quand il va bien pouvoir réintégrer le groupe et de prendre de ses nouvelles, mais, en tout état de cause, la question de son retour dans le groupe est pour lui vraiment plus que secondaire. Jesse a un énorme problème à régler dans sa vie, un énorme combat à mener, et Napalm Death passe loin derrière tout ça. » L’ambiance ainsi plombée, nous demandons confirmation à Shane au sujet d’une livraison assez rapide d’un troisième volume de Leaders Not Followers, les compilations de reprises en hommage à leurs groupes cultes. « C’est effectivement au programme. Mais il est trop tôt encore pour en connaître le contenu exact, et plus encore la date à laquelle ça se fera. Une chose est sûre, nous aimerions explorer différents territoires musicaux sur lesquels on ne nous attend peut être pas. Nous avons prévu de reprendre « Tom Sawyer » de Rush, dont nous sommes de grands fans. C’est à l’heure actuelle l’un des seuls titres que l’on puisse confirmer… » Quelques photos plus tard, Shane s’en ira rejoindre e reste du groupe et une poignée d’amis backstage, nous laissant seuls de façon assez peu correcte, condamnés à parler musique avec des gens venus de toute l’Europe et dont la bonne humeur serait presque communicative s’il ne fallait pas finir tous ces sandwiches et claquer le nombre hallucinant de tickets boissons remis à chaque journaliste. Parfois, les circonstances se plaisent à nous rappeler que la vie, ce n’est pas vraiment facile…

Deux étages plus bas, la salle de concert affiche complet, et un bon millier de personnes est venu découvrir les nouveaux morceaux de Napalm, mais aussi les invités qui se sont glissés sur l’affiche placée sous le signe du metalcore. End Of Days, insignifiant, ouvre la danse avant que les belges de Do Or Die ne fassent monter la pression. Lorsque Maroon déboule, la salle est déjà une étuve, l’hydrométrie est au maximum, c’est insupportable. Leur prestation énergique ne va pas faire retomber l’ambiance, qui atteint son point d’orgue avec Heaven Shall Burn. Visiblement, une bonne partie du public est aussi là pour lui, et le succès remporté par le groupe sur ses terres est véritablement impressionnant.

Chaud Chaud Chaud
L’arrivée de Napalm est évidemment un triomphe. Deux morceaux pour se mettre en bouche, et le groupe enchaîne pas moins de sept titres du nouvel album ! Le reste du set est réparti entre classiques et inédits, et nous avons même droit à un featuring de premier ordre en la personne de Jeff Walker, qui vient donner du cœur sur « Pledge Yourself To You ». Mythique, assurément. Culte, cela va sans dire. Ceux qui étaient au bar ou aux cabinet à ce moment précis peuvent se cacher pour mourir.

Une journée en tout point inoubliable, un grand concert, un grand album, et un groupe remarquable. Mais par-delà notre second degré maladif… vous l’aviez déjà compris, non ?


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