NOUVELLE HECATOMBE

Interview de Shane et Barney menée par Nicolas Radiguet, parue dans le numéro de Hard Rock Magazine de décembre 2000.

Depuis quelques albums, on croyait que Napalm Death avait adopté un régime de croisière. Et voilà qu'il revient avec un album monstrueux de brutalité, à couper le souffle : Enemy Of The Music Business.


Napalm Death n'a jamais fait dans la dentelle brodée, c'est le moins qu'on puisse dire ! Depuis quelques albums, bien que toujours voué au death extrême, sa ligne de conduite était plus réfléchie et épurée. L'an dernier, un mini CD de reprises de punk et de death old-school, Leaders Not Followers, nous avait bien montré que le groupe n'avait pas perdu de vue ses racines. Mais de là à concevoir un tel retour au grind-death, c'était inimaginable. Et en frappant là où on l'attendait le moins, Napalm Death met tout le monde knock-out ! Rencontre avec Barney et Shane.

Comment expliquez-vous ce regain d'énergie ? Cet album est un des plus violents que vous ayez enregistrés...
Shane : En 1998, nous avons traversé une période vraiment difficile, des galères avec notre ancienne maison de disques et notre management. Nous avons réussi à nous en sortir, à tout recadrer, et ça nous a filé une sacré patate. Tout le monde dans le groupe avait retrouvé l'enthousiasme. On avait envie de rentrer dans le tas !

On a effectivement l'impression que vous avez envie de bouffer out le monde avec la rage d'un jeune premier...
Barney : Nous avons toujours été des passionnés et nous nous sommes toujours investis à fond, même si ça a pu prendre des visages différents ces dernières années. Mais quand nous nous sommes retrouvés en répétition, nous avons senti que cet album allait sonner super heavy. C'était dans les vibrations.

Croyez-vous que le mini-CD de reprises, Leaders Not Followers, vous a plus ou moins consciemment montré la voie d'une musique plus directe, plus rentre-dedans ?
Shane : C'est sûr qu'avec cet album, nous avons pris goût à enregistrer sans nous prendre la tête. Il n'y avait rien de procédurier. Je commençais à en avoir un peu marre de prendre quatre jours pour faire mes parties de basse puis attendre quatre autres jours que le batteur ait fini les siennes. Là, tout a été bouclé en un rien de temps. Ce fut salvateur.

Considérez-vous Enemy Of The Music Business comme un retour aux sources ?
Shane : Je ne dirais pas ça, on retrouve tous les éléments de Napalm Death. Je pense que nous avons bien progressé par rapport à nos débuts et que, sur le nouvel album, il y a plus de puissance. Tu sais, je ne trouve pas, musicalement parlant, ces années plus excitantes que notre période plus expérimentale. C'est vrai que sur Enemy Of The Music Business il y a moins d'éléments expérimentaux mais ils sont plus fondus dans l'ensemble. C'est un acquis qui nous a permis de faire sonner l'album comme ça.

C'est étonnant : cet album respire l'urgence. Pourtant, vous avez pu le préparer sur la longueur, il s'est passé beaucoup de temps entre la sortie du précédent et celui-ci. En plus, vous n'avez pas trop tourné. C'est un peu paradoxal, non ?
Shane : En fait, nous n'avons pas mis tant de temps que ça à le faire. Nous sommes restés une assez longue période sans répéter. Une fois que nous nous y sommes mis, c'est allé très vite. C'est vrai que nous avons aussi utilisé des idées que nous avions en stock depuis un bon nombre d'années, que nous nous sommes seulement décidé à exploiter pour cet album, parce qu'on les sentait. "C.S. (Conservative Shithead) part 2" a une trame qui remonte à six ans !

Et comment vous est venue l'idée de travailler avec Simon Efemey, qui vous a offert un véritable mur sonore ?
Shane : C'est un bon pote de notre sonorisateur live, et il avait déjà assisté à certains de nos concerts. Nous pensions donc qu'il était très apte à restituer le côté live de Napalm Death. En studio, c'était très fun.
Barney : Il y avait un très bon esprit durant l'enregistrement.

Vous préférez la production de Simon ou celle de Colin Richardson ?
Shane : Je préfère largement la production du nouvel album.
Barney : Colin est un bon producteur, il n'y a aucun doute. Mais je ne pense pas qu'il ait réussi à capturer l'essence de Napalm. A mon avis, c'est quelqu'un qui colle bien pour un groupe comme Fear Factory parce qu'il arrive à lui donner un son très clinique, très froid. Mais je ne suis pas sûr que ce soit ce qui nous convient. Je ne dirai donc pas qu'il y a un bon ou un mauvais producteur, c'est juste que Simon a tout de suite compris ce que nous recherchions depuis des années.

Le titre de l'album, c'est un peu une manière de régler vos comptes avec votre ancienne maison de disques et votre management ?
Shane : Il reflète toute la merde que nous avons traversée. Il n'y a rien de bien neuf pour un groupe de dire qu'il s'est fait baiser par sa maison de disques ou son management. C'est un moyen de dire aux autres de faire gaffe, de bien insister sur le fait qu'on peut vite se faire avoir.
Barney : Nous n'avons pas encore les preuves définitives, mais les indices suggèrent que nous nous sommes fait méchamment arnaquer par notre management. En ce qui concerne Earache, nous ne les sentions plus motivés. Quand tu essaies de faire avancer les choses et que les personnes qui sont censées te supporter traînent des pieds ou s'en branlent carrément, ça te fout en l'air.

Croyez-vous qu'on puisse dire qu'on est l'ennemi du business quand, malgré tout, on fait partie de ce business, comme vous qui êtes signés sur un gros label indépendant, qui partez pour des grosses tournées ?
Barney : Oui. Tout n'est pas tout noir ou blanc. Je sais bien que lorsque nous partons en tournée, nous générons de l'argent. Mais après, il y a plusieurs façons de se comporter. Par exemple, en ce qui nous concerne, nous n'essayons pas d'arnaquer les gens avec qui nous traitons. Au contraire, notre démarche est d'être le plus honnête possible, que ce soit au niveau de nos cachets ou du prix de nos T-shirts.

Peut-on dire que vous êtes de retour avec une attitude punk ?
Barney : Le punk a toujours fait partie de nos influences. J'ai moi même été un punk. Ca a toujours fait partie de Napalm Death, cet esprit d'indépendance, de ne pas tout avaler, d'avoir une sorte d'esprit revendicatif. Nous n'avons jamais léché le cul de qui que ce soit. Nous n'avons rien à voir avec tous ces groupes sucrés qui se posent en tant que punks. Et comme nous avons vécu pas mal de trucs négatifs ces deux dernières années, c'est ressorti. Et puis, nous avons également voulu montrer que nous n'avons pas oublié l'underground, que nous avons toujours ça au fond de nous. Nous aimerions bien être un drapeau de ralliement.

Napster est-il, selon vous, un bon moyen de dire fuck au business ?
Shane : Je suis partagé à cinquante-cinquante. Pour les petits groupes ou ceux qui ont du mal à se faire entendre, c'est un moyen excellent. Après, rendre sa musique gratuite, ça pose quand même un problème, surtout pour les groupes intermédiaires comme nous. Si on ne vend plus un disque, qu'est-ce qu'on fait ?

Trouves-tu l'attitude de Fred Durst de Limp Biskit stupide ou irresponsable ?
Shane : Je trouve que, pour lui, c'est un peu facile de jouer les pro-Napster. Son groupe est tellement énorme que, de toute manière, Napster ne va pas lui causer trop de tort. Mais, d'un autre côté, c'est du tape-trading (ndrl : de l'échange de cassettes) à grande échelle. J'aime bien cet aspect-là. Franchement, je suis partagé. Il faudrait trouver une limite, une position médiane.
Barney : J'ai lu une histoire bizarre l'autre jour à propos de Napster. Ces cons-là ont attaqué The Offspring parce qu'ils vendaient sur leur site du merchandising à l'effigie de Napster. C'est vraiment le monde à l'envers ! Ils condamnent ce qu'ils sont censés défendre. Je pense aussi que, pour l'underground, Napster est une chance unique. Ca peut aider à faire circuler notre nom, car il y a des gens qui ont certainement entendu parler de nous mais qui n'osent pas acheter. En tout cas, toute cette polémique aura peut être au moins une conséquence positive : ça remet sérieusement en cause le prix du CD qui est prohibitif en Angleterre.

Vous ne pensez pas aussi qu'un bon moyen de ne plus se faire avoir est d'agir comme Radiohead qui ne vendra son prochain album que sur son site, via le téléchargement ?
Shane : Ca pourrait être une option... On verra, notre contrat avec Dream Catcher n'est signé que pour deux albums.
Barney : Je n'ai rien contre l'idée, mais j'ai un trop grand attachement au CD ou au vinyle, à l'objet. Et ça ne me fait pas tripper de savoir que, peut être, on pourra donner des concerts online sans réel public !

Avec Enemy Of The Music Business, tes paroles sont revenues à quelque chose de plus direct...
Barney : C'est vrai. Avant, j'utilisais nettement plus de métaphores. Cette fois-ci, je voulais que le public capte le sens premier de mes propos immédiatement, sans qu'il y ait des interprétations différentes possibles.

Tu as écrit un morceau contre les conservateurs, "C.S. (Conservative Shithead) part 2". Tu ne trouve pas que le hard est devenu très conservateur, que ce soit dans le métal traditionnel où il n'y a plus rien de rebelle, ou dans le black qui prône des valeurs de repli ?
Barney : C'est vrai, je le déplore aussi... Enfin, il ne faut pas généraliser. On dirait que, dans le métal, les gens se posent maintenant moins de questions. Avant, c'était une culture alternative qui s'opposait à la pensée dominante. C'est désormais moins le cas. Le métal suit le mouvement, c'est une question d'ignorance. Mais je ne mets pas tout le monde dans le même panier.

Croyez-vous qu'on assiste à un revival de l'esprit grindcore avec des groupes comme Nasum qui apportent du sang neuf ?
Barney : Je ne pense pas que le grindcore ait disparu. Il y a toujours eu des groupes pour ceux qui savaient où les chercher. Mais Nasum apporte quelque chose, ils ont un style, c'est sûr.
Shane : Je ne sais pas si Nasum fait du grindcore, même s'ils jouent très vite. En tout cas, j'apprécie leur authenticité. Ils ont un truc spécial qui peut amener les gens à découvrir d'autres groupes de grind.


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