VIVE LE NAPALM !

Interview de Shane menée par Nicolas Radiguet, sortie dans le Hard Rock Magazine de novembre 1998

Avec Words From The Exit Wound, Napalm Death nous revient en pleine forme, remonté à bloc. Nos anglais ne sont pas prêts de se laisser carboniser par les vagues montantes du grind ou du death. A l'instar de Bolt Thrower, ça fait toujours plaisir de voir ces vieux briscars, spécialistes en extermination sonique, tenir le haut du lance-flammes.

Inside The Torn Apart était un bon album, réalisé dans des conditions difficiles, alors que le groupe apurait une situation conflictuelle avec l'emblématique Barney, tenté, l'espace de quelques mois, d'écumer sa rage au sein d'un autre combo (Extreme Noise Terror). Le retour au bercail du grogneur de service, de façon quelque peu précipitée, n'avait pas laissé au groupe une grande marge de manœuvre. Cela se traduisit par une musique toujours aussi honnête et frondeuse mais qui manquait un peu de panache. Words From The Exit Wound rattrape et efface cette impression de retenue. Napalm Death a décidé de rentrer dans le tas, en cognant là où ça fait mal, sans se départir de cette petite touche évolutive qui a toujours caractérisé chacune de ses nouvelles productions. Rencontre avec un Shane "Benny Hill" Embury tenaillé par la faim.


Peut-on dire que Napalm est de retour et plus en colère que jamais ?
Si tu veux. C'est sûr que cet album est plus brutal et agressif que Inside The Torn Apart. Beaucoup de morceaux sont plus directs et font appel à des tempos que l'on utilisait plus dans le passé. C'est plus rapide. C'est quelque chose qui est naturel. Il n'y a aucun calcul si ce n'est de se distinguer du paquet de merde qu'on trouve actuellement dans le métal. Sur cet album, on a aussi fait un tri plus draconien parmi les titres qu'on a écrit pour garder l'intensité intacte tout au long du disque.

Words From The Exit Wound a été composé rapidement car Inside... est sorti il y a à peine un an et demi...
C'est vrai que le processus d'écriture a été plus rapide que prévu et qu'à l'accoutumée. Les idées sont venues rapidement. On était conscients qu'il ne fallait pas trop jouer la facilité. Alors tout le monde s'est impliqué à fond.

En effet, cet album exprime un véritable esprit de groupe, comme si vous étiez de nouveau heureux de jouer ensemble et comme si la passe difficile n'était plus qu'un mauvais souvenir...
Oui. On n'a pas ressenti la même pression. On était à l'aise. A l'époque d'Inside The Torn Apart, on sortait d'une période de tensions internes, que ce soit à un niveau personnel ou à propos de l'orientation musicale, qui avaient conduit au départ de Barney. Quand il a enregistré ses parties, la musique était déjà toute composée et enregistrée. Il a pratiquement découvert les morceaux en studio. Mais maintenant, tout va bien, on est de nouveaux amis. Barney et moi sommes très proches. On traîne souvent ensemble dans les pubs. Sur Words From The Exit Wound, ça s'entend que Barney est heureux d'être dans le groupe. Il a beaucoup participé à l'élaboration de l'album.

Sur Words From The Exit Wound et comme pour chaque nouvel album de Napalm Death, il y a quelques chose de nouveau. Cette fois, c'est le chant de Barney qui se fait plus appliqué, même mélodique et clair sur deux titres. Cette évolution est-elle due à Barney ou au reste du groupe qui tenait à le voir expérimenter un peu plus ?
Ca vient de Barney. Par le passé, on lui a souvent demandé d'essayer des trucs nouveaux, mais il ne voulait pas car il ne se sentait pas à l'aise. On lui a dit qu'il n'y avait pas de problème. Un jour, il s'est pointé en répétition avec une ligne de chant différente, plus claire et on a trouvé ça bien. Cette fois, il se sentait prêt pour essayer autre chose. Je ne sais pas trop si l'on va aller plus loin dans ce sens-là car c'est une expérimentation ponctuelle. Il l'a fait sur quelques chansons parce que ça sonnait bien. Ca ne rimerait à rien si une bonne idée pour un titre devenait systématique. Sa voix est aussi plus modulée car les riffs le permettent, Barney peut mieux coller à la musique. Mais ça reste du pur Barney.

Peux-tu nous en dire plus sur la plage "Trio-degradable" qui s'enchaîne à "Affixed by disconcern" ?
C'est une sorte d'intro. On voulait recréer une ambiance similaire à l'intro de Utopia Banished. Ca faisait longtemps que l'on avait pas fait ce genre de truc. Les paroles de Barney traitent de la ségrégation, des gens qui veulent imposer leurs opinions aux autres.

Sur "Trio-degradable", il y a pas mal de samples. Vous aimeriez en incorporer plus ?
On aime les samples. Ca nous intéresse, mais juste pour ce genre d'intros. On n'a pas envie de les utiliser pour les morceaux. On préfère jouer sur les sonorités et les effets des guitares et voir ce que ça donne sur des riffs heavy.

Sur Words From The Exit Wound, vous avez écrit un de vos morceaux les plus heavy et des plus accrocheurs : "Next of kin to chaos". Avez-vous beaucoup de titres dans cet esprit que vous n'osez pas mettre sur vos albums parce qu'ils sont décalés par rapport à ce que vos fans attendent de vous ?
En fait, c'est un morceau qui est venu comme ça, en studio. Je pense que c'est une bonne composition car elle mélange des éléments typiquement death metal, comme le riff du début, et d'autres choses plus expérimentales qu'on a pu faire dans le passé, avec "Cold Forgiveness". Je pense qu'on renouvellera ce genre de morceau car, d'une manière générale avec cet album, on a essayé de combiner tout ce qu'on a pu faire jusqu'à maintenant. Words From The Exit Wound est une espèce de résumé de tout ce qu'on a pu faire, tout en marquant une progression.

Quelle est la signification de la pochette ?
L'idée est de représenter le chaos général. Le visage est frappé par le mal qui règne dans ce monde. Il est assailli par la corruption.

On retrouve donc, au-delà des textes, l'engagement social de Napalm Death...
Oui. On a toujours été comme ça. Je ne dis pas que tous les groupes doivent toujours traiter de réalité. Si certains préfèrent tout ce qui est heroic-fantasy, pourquoi pas, chacun son truc. Nous, on est touchés par notre environnement et on a envie d'en parler. Quand on rentre chez nous, on traîne avec nos amis qui ont des boulots de merde. Ca nous fait réagir. Il faut qu'on en parle car on se sent privilégiés.

Au quotidien, êtes-vous engagés politiquement ?
Barney est le membre du groupe le plus engagé. Il milite dans plusieurs associations, antiracistes, de charité... Je soutiens tout ce que peux faire ou écrire Barney mais, personnellement, je ne suis pas trop actif.

Etes-vous satisfaits de la tournée avec Machine Head ? Pensez-vous avoir touché un autre public ?
Ca s'est très bien passé. On avait déjà partagé l'affiche avec Machine Head : ils avaient ouverts pour nous lors d'une tournée américaine. On s'est produits devant un public différent du nôtre mais je ne peux pas trop te dire si on a gagné de nouveaux fans. Le public réagissait bien, s'éclatait. Cette tournée était assez spéciale car Barney venait de réintégrer le groupe. Il fallait que tout le monde retrouve ses marques. Je crois que maintenant, nos prestations sont meilleures.

Pourquoi avoir sorti officiellement ce bootleg japonais ?
Parce que le son est bon et qu'il représente fidèlement ce qu'est Napalm Death sur scène. Il n'y a pas d'overdubs. Il aurait dû sortir plus tôt... On y trouve des morceaux qu'on avait pas joués depuis longtemps. Pour être honnête, si on ne l'avait pas fait, ce serait sorti quand même car on a pu constater qu'il y a pas mal de bootlegs de Napalm qui circulent au Japon. Il ne faut pas le considérer comme un live officiel, mais comme un témoignage de l'énergie brute du groupe sur scène.

En fait, c'était surtout pour casser le marché des bootlegs ?
Oui, aussi, car comme je te le disais, il y en a un paquet sur le marché. On s'est dit : "Faisons le avant que quelqu'un d'autre ne le fasse."

Je t'avais rencontré dans les studios où enregistrait Cradle Of Filth. C'est un groupe que tu apprécies ?
Oui, même si ça fait longtemps que je n'ai pas écouté leurs premiers albums. Je connais surtout le dernier. Nick et moi sommes amis de longue date, bien avant qu'il ne joue dans Cradle Of Filth. Il vient souvent traîner à Birmingham. Pour moi, Cradle Of Filth ne sonne pas comme un groupe de black typique car il intègre des parties de métal traditionnel dans sa musique. Je trouve ça très intéressant.

Et que penses-tu de Kill II This, où Barney fait des backing vocals sur un morceau ?
J'aime bien ce groupe et sa manière de placer le chant sur la musique. Barney et moi, on passait dans le studio et ça s'est improvisé, mais comme j'étais trop bourré, je n'ai pas pu jouer (rires) ! Ils ont un bon style.

A vos débuts, les groupes anglais de metal extrême étaient très soudés et formaient une famille (Carcass, Extreme Noise Terror...). As-tu le sentiment que la situation a changé ?
Malheureusement, Carcass n'existe plus. Je vois toujours Jeff. Pour mes trente ans, l'an dernier, i y avait Jeff, Lee de Cathedral. On se rencontre donc de temps en temps, même si on traîne moins ensemble. Mais ça ne veut pas dire qu'on ne s'apprécie plus. On est toujours prêt à s'entraider.

Alors que les piliers de l'écurie Earache sont partis chez d'autres labels, dégoûtés par l'attitude de cette maison de disques, vous avez choisi de rester. Pourquoi ?
On a juste signé pour deux albums, celui-ci compris, et encore, ils ont une option pour le second. Ce n'est pas très aliénant. Je pense que tous les labels se ressemblent.

Question habituelle : que devient Meathook Seed ?
On a, enfin je dirais plutôt Mitch, a écrit un album complet. C'est très différent du premier. C'est toujours heavy, mais avec beaucoup de réminiscences Killing Joke. Ca ressemble à du Killing Joke en plus heavy. Trevor d'Obituary ne fait plus partie du projet, du moins il ne s'est pas impliqué dans l'écriture des nouveaux titres. Alors, est-ce qu'il est judicieux de toujours s'appeler Meathook Seed ? Je ne sais pas. C'est devenu le groupe de Mitch. Je suis juste là pour lui donner un coup de main à la basse et lui faire part de quelques suggestions. Mitch a un nouveau chanteur et il est français. Il vient du groupe OUT et devrait chanter sur l'album. La situation est un peu confuse. En tout cas, ce n'est pas Earache qui devrait hériter de l'album car Mitch tient à ce qu'il fasse l'objet d'un minimum de promotion, ce qui n'est souvent pas le cas des side-projects quand ils sont signés sur la même maison de disques. De toute façon, Earache n'a pas l'air d'être intéressé. En ce qui me concerne, j'ai monté un nouveau groupe avec Jesse Pintado et Nick de Cradle. On n'a pas encore de chanteur mais la musique est quasiment enregistrée : c'est du brutal death dévastateur. La sortie est prévue au début de l'année prochaine.


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