L'UTOPIE EST BANNIE !

Interview de Shane et Barney menée par Robert Muller, parue dans le Metal Hammer spécial thrash n° 2 sorti en mai 1992.

Le nouvel album de Napalm Death s'appelle Utopia Banished, un titre qui peut une fois de plus être interprété de diverses manières. Le groupe a souhaité ainsi résumer le contenu de son album, et lever le voile sur son orientation musicale en 1992, grâce au successeur du très controversé Harmony Corruption. Une nouvelle direction musicale était amorcée dés la sortie du single Mass appeal madness. Une sorte de retour vers le passé, en quelque sorte. Nous voici en présence de quatorze titres incroyablement brutaux, assez courts dans l'ensemble, mais certainement pas aussi violents que ceux qui composaient Scum. Ils sont dévastateurs et correspondent parfaitement à l'attente des fans du groupe.

Metal Hammer a rencontré les musiciens au Pen And Wig, un pub situé en plein centre de la capitale britannique du death metal, Birmingham. Mentalement préparé à encaisser les méfaits de la bière anglaise, je me campai bravement en face des têtes hirsutes de Barney Greenway et Shane Embury, les deux seuls membres restants de la formation originale. La vie n'est pas drôle, les membres de Napalm Death le sont encore moins, et pour le moment, la pire chose qui puisse leur advenir est de répondre à une interview au terme de trois courtes heures de sommeil !


La dernière fois que nous avons eu vent de vos activités, vous jouiez aux festivals de Noël aux côtés d'autres groupes. Qu'avez vous fait depuis ?
Barney : Nous avons répété presque tous les jours, sans interruption. L'enregistrement de l'album n'a pris qu'assez peu de temps. Nous étions censés ne rentrer en studio qu'au mois d'avril, et subitement, nous nous sommes installés dés février... Notre première réaction a été de refuser, cela nous paraissait impossible ! Mais nous ne souhaitions pas réitérer les erreurs accumulées pour la sortie d'Harmony Corruption. Nous n'avions alors disposé que de sept semaines pour tout mettre en boîte. Nous sommes donc revenus sur notre décision, ce qui a occasionné pas mal de stress... Enfin, maintenant, nous attendons tous la sortie de l'album.

Il me paraît surprenant que vous deviez sortir un album qui ne vous satisfasse pas entièrement, alors qu'Earache a l'intention de le commercialiser à grande échelle.
Barney : Il faut préciser ceci : nous sommes tout à fait satisfaits du résultat final. C'est très probablement à cause de la pression exercée par Earache et sa campagne de marketing que nous n'avons pas pu travailler comme nous l'aurions imaginé. Toute la promotion de l'album est axée sur le titre suivant : Campagne de Destruction Musicale, en plus des traditionnels efforts de distribution !

C'était bien cela que vous souhaitiez ?
Barney : Oui, l'idée vient de nous, nous voulions ainsi dépoussiérer le marketing habituel. La décision finale d'entériner l'affaire appartient à Earache. Il s'agit d'un mélange d'humour et d'attitude punk ! De toute façon, ce sera bien plus efficace que tout ce qui avait jusqu'à présent été mis à notre disposition.

Utopia Banished a-t-il été l'occasion pour vous de ne pas persévérer dans la voie d'Harmony Corruption ou vous êtes-vous contentés d'enregistrer un album à l'intention de vos fans de toujours ? Le son du nouvel album est assez proche de celui de Mentally Murdered !
Barney : Je crois que le son d'Harmony Corruption a été une expérience. Pas nécessairement convaincante, d'ailleurs ! Au moment où il était question du son de l'album, nous avons laissé plus ou moins Scott Burns s'en occuper, pour finalement s'apercevoir que son mixage était bon, mais peu conforme à nos prévisions. Nous avons évité ce genre de surprises sur Utopia Banished. Les gens peuvent le comparer à Mentally Murdered, mais quant à nous, nous savons bien qu'il représente parfaitement nos désirs.
Shane : A l'époque où Jesse et Mitch étaient encore de nouvelles recrues, Mick et moi-même composions l'ensemble des titres sans trop savoir où nous allions. Et nous n'avions réellement aucune idée de ce à quoi notre son devait ressembler ! Cette fois-ci, nous avons tout décidé nous-mêmes. Bien sûr, nous étions prêts à écouter toutes les suggestions émanant du producteur, mais en définitive, tout le monde s'en remettait à notre souhait initial.

Mais tout de même, ce nouvel album propose bien l'ancien style de Napalm Death, des titres relativement courts, des passages grind, etc...
Barney : Et bien, en ce qui me concerne, la longueur idéale d'un morceau se situe toujours aux alentours de deux minutes et demie. Juste ce qu'il faut pour développer le thème d'un titre sans le rendre ennuyeux. Et c'est exactement ce que nous avons fait.
Shane : Lorsque nous composons, il arrive toujours un moment où nous nous arrêtons pour souffler ! Quant aux éléments musicaux, ils étaient déjà présents sur chaque album de Napalm Death. Mais il suffit qu'ils soient produits différemment ou développés sur des titres plus longs pour qu'ils sonnent différemment.
Barney : Et il faut ajouter que Mick n'était plus du tout à ce qu'il faisait. Mick a une personnalité très affirmée, qui laissait son empreinte sur chaque titre. Nous n'avions pas le courage de lutter contre cela ! Depuis qu'il est parti, la situation a bien changé. Danny, notre nouveau batteur, est très enthousiaste dés qu'il s'agit de jouer vite !

Comment s'est opéré le changement derrière les fûts ?
Shane : Le groupe Scorn, dans lequel Mick joue maintenant, est la principale raison de ce changement. Mick ne désirait plus jouer avec Napalm Death. Il ne voulait pas participer à l'évolution du groupe, il souhaitait juste révolutionner notre style. Il voulait faire de Napalm Death un groupe comme Scorn, c'est à dire inclure des samplers, ralentir le rythme des morceaux, innover vers l'industriel. Autant d'éléments qui ne nous intéressent pas.

Et où avez-vous déniché Danny ?
Barney : Danny est originaire de Los Angeles. Il n'avait pas de travail et rien à faire de la journée, alors il s'entraînait sur sa batterie tout la journée. C'est un ami de Jesse, et chaque fois que Jesse rendait visite à ses parents à L.A., ils jouaient des morceaux de Napalm Death. Nous ne le connaissions pas, mais Jesse nous l'a recommandé et nous l'avons fait venir en Angleterre. Ca a collé immédiatement, nous avons eu de la chance !
Shane : Danny n'a jamais joué dans un groupe auparavant, ce qui lui évité d'apporter une quelconque influence au groupe qui aurait pu être indésirable.

De quoi traitent les textes du nouvel album ? Son titre, Utopia Banished, est plus que pessimiste, toute idée d'un monde meilleur est-elle à proscrire ?
Barney : Ce titre ne sert pas à annihiler toute forme d'utopie, il condamne uniquement l'utopie que notre société implique. La société attend de vous que vous sachiez vous exploiter et vous promet une récompense par la suite. On vous endort avec des promesses ! Si vous travaillez d'arrache-pied, vous finirez dans le droit chemin. En réalité, rien ne change !
Shane : C'est le même principe dans le business. On vous promet une longue et brillante carrière, comme à des centaines d'autres personnes. Tout le monde se donne du mal, tout le monde essaie d'atteindre les sommets, mais en réalité, il n'y a de place que pour un petit nombre.

Vos textes ont toujours la vocation de pousser les gens à la réflexion...
Barney : Lorsque je réécoute mes textes, je ne pars pas du principe qu'ils doivent absolument coller à une certaine norme. Ces textes ne sont que des pensées que j'ai compilées sur des bouts de papier pour les utiliser par la suite. Ils dépassent souvent le stade de la simple imagerie du groupe.

Ils permettent aussi au groupe de se démarquer du reste de la scène death !
Barney : Sûr, mais les textes seuls ne semblent pas être uniquement concernés. J'ai remarqué qu'un petit nombre de groupes de death qui présentaient des textes totalement absurdes à propos de satanisme, se mettent soudain à affirmer aux journalistes que leurs paroles contiennent des messages sociaux culturels ! Tout cela n'est que du vent, les groupes sacrifient à la mode qui consiste à rendre tout texte contestataire. Les paroles de Napalm Death traitent de la réalité, dépouillée de codes et de symboles. Ce ne sont que de simples observations de personnes qui savent regarder autour d'eux.

Le danger de voir Napalm Death se laisser aller à quelques nostalgies ou anachronismes existe-t-il ?
Shane : Nous ne développons aucun concept. Nous faisons ce qui nous convient. Et il est trop tôt pour entrevoir le futur du groupe. Nous ne pensons qu'au moment présent, nous venons d'enregistrer un album dont nous somme très fiers, c'est tout ce qu'il nous faut !
Barney : Tu sais, dans un sens, nous ne prêtons guère attention aux réactions du public. Le principal est que nous conservions intacte notre motivation. Tant qu'elle ne nos fera pas défaut, Napalm Death continuera sur sa lancée.

Le groupe tourne actuellement en compagnie de Dismember et Obituary, un événement à ne pas manquer. Scum et From Enslavement To Obliteration étaient d'authentiques albums-cultes, Utopia Banished pourrait bien propulser le groupe au sommet.


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