TRANSITION SALUTAIRE

Interview de Shane, Mitch, Jesse & Barney parue dans le magazine anglais Metal Maniacs d'octobre 1994


Napalm Death fait une date unique avec les Melvins au Garage à Londres, une salle de concert humide, ressemblant à un sous-sol avec une ambiance de gaz de gare (le néon au dessus du bar indique "Lubrification"). C'est la première date officielle du groupe en Angleterre depuis deux ans, bien qu'ils aient donné un concert surprise sans aucune publicité au club Camden deux semaines avant.

Le garage est bondé et la foule préparée, s'intéressant aux cinq chansons du disque à venir, "Fear, Emptiness, Despair", presque autant que les anciennes comme "Mass Appeal Madness" et "Suffer The Children". Des stage divers joyeux prennent leur temps en embrassant Barney Greenway alors qu'il se précipite sur la scène ou en essayant de bavarder avec l'imposant Shane Embury, avant de se jeter dans le pogo. Napalm est clairement en pleine forme, le nouveau matériel sonnant particulièrement incisif. Le concert se finit trop rapidement.
"Ca allait" dit Shane, le bassiste et le membre le plus ancien de Napalm, le lendemain en dégustant des ailes de poulet grillées (il n'a pas résisté à la description du menu : 'sataniquement fumé et grillé'). "On a eu un genre de réaction étrange de la part du public. Je pense que nous nous attendions à ce que ce soit vraiment bon. Nous pensions que le concert donné il y a deux semaines allait être difficile et ça s'est vraiment bien passé. C'est simplement nous. Les gens viennent parfois nous voir ensuite et nous disent : 'C'était un concert qui tuait !'. Je suppose que nous sommes un peu lunatiques".

Il reconnaît effectivement que les nouvelles chansons ''Twist the knife'', ''Hung'', ''Remain nameless'', ''Plague rages'' et ''State of mind'' sont particulièrement bien passées. "Personne n'a encore entendu l'album, mais lors des deux concerts que nous avons donné, j'ai eu l'impression que les fans rentraient vraiment dedans. C'est quelque chose que tu n'obtiens généralement pas de la part des chansons de Napalm. C'est probablement du aux rythmes que nous avons utilisé ; les tempos sont un peu plus intéressants, ce n'est pas seulement constamment rapide".

Et c'est ici que repose le charme de "Fear, Emptiness, Despair" pour ce compositeur cohérent : des rythmes irrésistibles. Certaines personnes détestent utiliser le mot 'accrocheur' en conjonction avec une musique tellement extrême, mais il est facile d'être pris par ces grooves. Cela était en fait l'intention du groupe. "Quand j'ai commencé à écrire des trucs pour cet album", dit Shane, "je voulais qu'il soit un peu différent, ne pas se reposer sur la formule typique, comme une rafale, un plan à la Discharge, une rafale et n'importe quoi d'autre après... Et ce qui s'est passé, c'est que Mitch (Harris, guitare) pensait la même chose, ainsi que Jesse (Pintado, l'autre guitariste) ; un peu comme une évolution générale.. Nous avons essayé de nous concentrer sur nos rythmes. C'est pourquoi l'album possède beaucoup de tempos et de saveurs différentes que nous n'avions jamais véritablement avant".

"J'ai entendu dernièrement que c'est plus industriel",
ajoute Mitch, "mais je ne dirais pas ça. C'est probablement un pas de plus en avant pour rendre Napalm plus dur à classifier". Shane explique que "les gens utilisent le mot 'industriel' pour tout ce qui n'est pas du métal typique et pur. S'ils tombent sur des chansons avec des notes discordantes ou quoi que ce soit, ils penseront automatiquement que c'est industriel. Il y a pas mal de parties de batterie complexes sur l'album, c'est la seule chose qui peut donner l'impression d'être vraiment technique. Les riffs sont très basiques, très simples à jouer".

Parce que le groupe était de toute évidence sur la même longueur d'onde pour composer, les chansons se sont assemblées rapidement cette fois-ci. Pas de doute que ceci était du au fait que le line-up actuel de Napalm Death a maintenant trois ans (le membre le plus nouveau, Danny Herrera, est arrivé en juillet 1991), presque un exploit, étant donné les va-et-vient qu'ils ont connu dans le passé. De plus, d'après Shane, "Je pense que nous nous entendons bien mieux maintenant, même si nous avons beaucoup de disputes. Moi et Mitch pouvons presque en arriver à nous battre. Et le lendemain, on se serrera la main en se disant qu'on étaient bourrés ou stupides. On se dispute tous, mais nous nous comprenons bien mieux maintenant. C'était le problème au début. En tant que membres de groupe, nous étions très isolés les uns des autres. Je vivais dans une région, Bill (Steer) vivait dans une autre, ainsi que Lee (Dorrian) et Mick (Harris). Nous n'avons jamais vraiment traîné ensemble".

Ces jours ci, tout le monde vit dans la même maison, sauf Barney qui réside à Londres. Que dit Shane, le membre natif d'Angleterre, sur le fait de vivre avec trois amerloques ? "C'est bien, c'est comme une famille d'adoption". Jesse ajoute, "C'est cool parce que quelques fois, Mitch dira : 'Ecoutez ce riff !' alors que ce n'est même pas encore une chanson ou quoi que ce soit. Trois mois après, il vient : 'Ecoutez ce plan' et je l'ai déjà entendu, j'y suis habitué. Au moment de répéter, de prendre une guitare et d'apprendre le plan, je le connais déjà pas mal. Ou Shane parlera d'une idée sur laquelle il écrit, peut être parce qu'on l'a fait chié ou un truc dans le genre. En fait, quand c' est fini, tu es vraiment plus intéressé parce que tu as vu la chose grandir".

Barney pourrait ne pas être concerné par le processus initial de composition, mais il est assez sérieux et passionné de la musique de Napalm Death et de son département principal, les paroles. Bien que fatigué et ayant la voix cassée après le concert au Garage, il disserte gracieusement pendant le repas dans un restaurant chinois bruyant ( étant correspondant occasionnel pour ce même magazine, il comprend bien les besoins des journalistes). "Je me base pas mal autour des mêmes sujets pour tous les albums, sauf que j'essaierai de l'exprimer le plus différemment possible à chaque album. J'utilise effectivement un langage compliqué et ce genre de trucs sans essayer de faire sonner ça indéfinissable parce que je pense que des textes créatifs vont bien avec les chansons, mais sans être trop vague ou trop compliqué. J'essaie de trouver un juste milieu".

Par rapport aux thèmes qui lui sont proches et chers, comme la suprématie blanche (''I'm retching on the dirt'' - 'J'ai la nausée à cause de la crasse'), il ne donne pas plus de détails : "Je suis sûr que je n'ai pas besoin de m'engager dans une longue discussion sur ça, parce que tout le monde sait ce que j'en pense. Je suis très nerveux et paré à fusionner avec ce qui, aujourd'hui, est devenu la direction dont je conçois les choses vraiment intensément et je suis comme ça tout le temps à la base".

Non pas qu'il écrive constamment. "Non. Je ne noterais pas de trucs. J'ai eu une ou deux occasions mais ça a toujours mal tourné, les choses que j'avais écrites ne furent jamais utilisées".

Ainsi, les vannes lyriques ne sont levées que lorsqu'il est temps d'écrire un album, bien que la pression soit facilitée par le talent d'écriture de Barney, toujours à son poste. "Dans un an, si quelque chose était arrivé dans cette discussion, je pourrais y repenser et en fait écrire, en utilisant cela comme une référence. Cela paraît très étrange mais...".

Etant donné qu'il est journaliste à mi temps, je me demandais ce qu'il aurait voulu savoir s'il devait interviewer Napalm. "Je demanderais : jusque où êtes-vous prêts à fusionner avec ce qui est devenu le métal grand public d'aujourd'hui ? Est-ce ce à quoi vous aspirez ? Avez-vous toujours l'envie d'être sans compromis ?". Et comment répondrait Barney ? "En ce qui me concerne, je ne me conforme à personne" énonce t-il. "Je ferai les choses suivant nos propres conditions ; j'aurais tellement honte de faire le lèche cul. L'intégrité pour moi, c'est croire en ce que tu fais au bout du compte".

Il est assez dégoûté par les récentes modes dans la musique. "Beaucoup de groupes se sont mis à se conformer maintenant et l'opinion de beaucoup de gens est tourmentée par ce qui est à la mode. Tout le truc 'à la mode' a tellement éclipsé le fait que beaucoup de ces groupes se sont conformés et les gens ne voient pas ça, juste que ce qui compte, c'est d'être cool".

Il refuse de se faire attirer là-dedans. "J'ai une passion pour la musique. Quand je suis frappé par quelque chose qui a une âme, venant du cœur, alors je rentrerais dedans. Je suis assez entêté, tu vois, je suis vraiment difficile. je ne peux pas me forcer à aimer quelque chose pour être cool. Quand les gens regardent mes goûts musicaux, ils me dédaignent. Pourquoi devrais-je avoir honte ?"

Il fait référence au fait qu'en plus du vieux hardcore underground et de "tous les genres comme le hard rock, le death metal, le thrash metal, le punk rock", il apprécie aussi Journey, Foreigner et, "tenez-vous bien, ça va totalement vous déconcerter, mais j'adore Richard Marx". Wouah, il n'en a vraiment rien à branler d'être 'cool', hein ? Admirable (ironiquement, certaines personnes trouveront ça nul que Barney aime quelqu'un d'aussi démodé, ce qui, bien sûr, n'est absolument pas la question). De plus, certains groupes actuels ne sont définitivement pas sa tasse de thé. "Rage against the machine... je n'aime pas que l'on vienne me prêcher. Je n'ai rien contre eux, mais pour moi, ils ne le font pas".

Une autre personne qui ressent cela encore plus fortement, c'est Shane, qui exprime autant de choses dans ses paroles pour ''Plague Rages''. "Je pense que ça ne fait que générer un certain type de fans qui sont juste là : 'Ouais, mec, ils sont politiquement correct, je suis politiquement correct' et ils ne se questionnent même pas sur ce qui est bon ou mauvais. Ils sont simplement là : 'Vas te faire enculer, je ne ferais pas ce que tu me dis'. C'est très orienté vers la mode. Le week-end, après le boulot routinier. Ils gueulent, mais ils ne comprennent pas vraiment... Le pire est qu'RATM promeut ce qu'il est censé ne pas promouvoir. Ils se battent pour la libre pensée et pour l'individualité, mais de la façon dont ils s'expriment, ça ressemble fortement à du : 'J'ai raison, tu as tort' ".

Shane, comme Barney, est beaucoup plus un penseur individuel. Ses paroles sur ''State Of Mind'' lui furent inspirées lorsqu'il fit partie d'un panel de la Foundations Forum juste avant nos dernières élections présidentielles. " Ils ont commencé à discuter de la politique américaine, à propos de laquelle je ne connais pas grand chose, mais le sujet a abouti à dire : 'Votons pour le moins mauvais des deux'. Et bien, si c'est moins, c'est toujours mauvais. C'est un peu la même chose en Angleterre... Le gens pourraient-ils avoir le choix de ne pas choisir jusqu'à ce que quelqu'un vienne et les représente ? Je pense que les gens agissent comme des moutons. Ils le font sans raison. Si tu es toujours content de voter pour quelqu'un qui est un peu meilleur, mais qui n'est pas encore assez bon, alors tu ne changeras rien du tout ".

Bien qu'il est évident que les mecs de Napalm sont fortement concernés par certains problèmes et que leurs paroles reflètent ça, les concerts en public sont une pure catharsis. Il est intéressant de noter que le groupe a joué dans des endroit violents, incluant l'Israël, la Russie et l'Afrique du Sud, où Barney fut impliqué dans un débat en tête avec des bigots sur la radio nationale ("Ce pays est foutu" maintient-il, "Peu importe ce qu'ils disent, il est quand même foutu"). Ils furent témoins de trucs dérangeants à l'étranger mais, dit Shane, "Avec tous les problèmes que les divers pays connaissent, quand il y a un concert de Napalm Death, c'est toujours la même chose. Les problèmes sont oubliés, les gens se lancent dans des stage-diving dingues, il y a une énergie folle ; c'est la même chose partout. C'est bon en quelque sorte, un peu comme un lieu de rencontre pour évacuer tes peurs et toutes tes dépressions ou tout ce que tu veux, ce qui est la façon dont je regarde constamment Napalm, pour moi en tout cas : une bonne manière d'évacuer ta colère et ta tension".

Que pourrait-on demander de plus à un groupe ?


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