UN CRAN AU-DESSUS

Article rédigé par Phil Alexander, paru dans Raw (magazine anglais) ; numéro 7 du 23 novembre au 6 décembre 1988.


Le hardcore anglais a tendance à être bien moins séduisant que le hardcore américain. Au-delà de Token Entry et de ses poussées d'adrénaline à vous rendre dingue, des défunts Minor Threat ou même d'Agnostic Front se dresse la menace chaotique et dévastatrice du hardcore anglais.

Ce genre n'est ni confortable ni particulièrement accessible. Il opère en grande partie selon des structures répétitives, balançant des visions apocalyptiques dans un maelström de furie et de sons déconcertants que la plupart des gens préfèreraient ignorer. Toutefois, un nombre croissant d'auditeurs trouve ça terriblement accrocheur.

Dans ce contexte, Napalm Death est sans aucun doute le représentant du genre qui a le plus succès de succès 'commercialement parlant'. Leur premier album, "Scum" (sorti l'an dernier sur Earache, le label de Nottingham) a été initialement pressé à 3000 exemplaires qui se sont vendus à une vitesse effrayante. A ce qu'on dit, l'album aurait réussi à s'écouler à 20 000 exemplaires dans le monde entier sans même qu'il y ait de contrats de distribution, un exploit que leur disque flambant neuf, "From Enslavement To Obliteration" (chroniqué dans le n° 5) devrait dépasser avec une certaine facilité ; rien que les précommandes pour ce nouvel opus atteignent les 10 -12 000 copies !

Après avoir fustigé le monde des affaires et le capitalisme corporatiste sur son premier LP, Napalm Death est dans une situation un peu embarrassante car il risque de vendre pas mal d'albums et devra éviter les pièges du consumérisme
(= doctrine économique et commerciale des organisations de défense des consommateurs). C'est quelque chose dont le groupe - qui consiste en les personnes du batteur hyperactif Mick Harris (qui est également connu pour avoir cogné les fûts chez Extreme Noise Terror, le combo hardcore d'Ipswitch), du vocaliste Lee Dorrian, du guitariste Bill Steer (qui fait aussi partie du trio Carcass) et d'un nouveau venu - enfin, pas tout à fait - Shane Embury (jadis batteur dans Unseen Terror, le combo du Shrepshire) à la basse - est parfaitement conscient.
"D'accord, nous faisons partie d'un groupe mais nous ne voyons pas cela comme une entreprise commerciale " établit Bill avec conviction. " Nous faisons ça parce que c'est ce que nous aimons, pas pour l'argent".
"Je suppose que tu dois quand même faire des compromis"
ajoute Lee sèchement. "Si tu fais toujours la même chose, tu ne peux pas communiquer tes points de vue à quiconque. La priorité, ce n'est pas de vendre des disques, c'est de continuer à faire ce qui nous plaît".

Toutefois, le compromis n'est pas un terme approprié pour FETO, un album qui atteint de nouveaux sommets d'extrémisme, auparavant seulement suggérés par l'intensité étouffée de son prédécesseur. Depuis "Scum", cependant, beaucoup de choses ont changé. Pour un premier disque, ce LP était (logiquement) inconsistant. La première face avait été enregistrée en août 1986 avec Justin à la guitare et Nik à la basse et aux vocaux (tous deux sont actuellement dans Godflesh, un combo grindcore de Birmingham), suite à quoi ils furent remplacés par Lee, Bill et le bassiste Jim (parti depuis) pour l'enregistrement de la face B en mai 1987.

Ca vous rend confus ? Il y a de quoi, surtout lorsqu'on écoute un Mick ultra énergétique revenir sur les six milliards ou presque de changements de line-up qui sont intervenus dans le groupe depuis ses débuts en 1981. Et pourtant, avec le départ de Jim en juin 87 et l'arrivée en conséquence de Shane le mois suivant, les choses prennent une tournure plus stable du côté de Napalm.

Parallèlement à la confiance croissante du groupe en lui-même (bien que je m'empresse d'ajouter que leurs forts égos sont un handicap à leur cohésion), le passage d'un studio 8 pistes à un 16 pistes s'est révélé bénéfique pour le son général de ND.
"Ouais, le travail en studio (le Birdsong à Worcester) fut très relaxant cette fois-ci. Nous avions beaucoup de temps à notre disposition et nous avions un ingénieur du son (Steve Bird) qui savait ce qu'il faisait" nous explique Mick. "Ce n'était pas autant la panique que pour les Peel Sessions (le groupe a déjà enregistré deux sessions pour l'émission de John Peel sur la Radio One. La première est sortie sur Strange Fruit Records et fait partie de la série des disques issus de ces Peel Session) et nous avons pu nous concentrer sur les choses importantes. D'autre part, les chansons sont bien plus diverses, elles contiennent des tempos variés et des structures que nous n'aurions jamais mises en place sur le premier album".

"From Enslavement..." marque certainement une progression notable et voit le groupe se diversifier à certains égards. Mais pour le métalleux de base, Napalm Death va encore trop loin par rapport à leurs homologues de Slayer ou même de Death, qui eux rencontrent un succès certain. La question est la suivante : Peuvent-ils continuer longtemps à un rythme aussi soutenu ?
"Ce sera toujours agressif parce que c'est dans ma manière de composer" nous indique Mick pour nous rassurer. "Bien sûr, je réalise qu'un moment viendra où je ne pourrai plus écrire comme ça et où nous aurons épuisé toutes nos idées. Evidemment, à ce moment-là, nous arrêterons. Pour l'instant, nous foisonnons d'idées".

Dans la mesure où le groupe vient juste de terminer une tournée anglaise et où il se prépare à se rendre bientôt en Europe, il est décidément très occupé. Dans ses projets figure la possibilité d'enregistrer un flexi-disc conjointement avec les hardcoreux japonais de S.O.B., disque qui sortirait l'an prochain au pays du soleil levant. Parmi les autres activités liées à Napalm Death figurent les sorties imminentes des disques de Unseen Terror et Carcass, tous deux devant être enregistrés avant la fin de l'année pour une sortie début 89.

Dans un genre qui a récemment tendance à stagner aussi bien musicalement qu'idéologiquement, Napalm Death est comme un tisonnier chauffé à blanc adroitement appliqué au postérieur de tous ceux parmi vous qui sont étroits d'esprit.


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