LA FLAMME NETTE DES SINGES

Article paru dans le numéro de Rock Sound de janvier 1996

Le métal primate et pileux des Napalm Death existe virtuellement depuis quatorze ans. Mais un changement total de personnel en 1986 et un nouvel angle musical - résolument extrême - ont alors spectaculairement lancé la carrière quasi inexistante de la horde simiesque de Birmingham. Nouveau départ consacré par un premier album en 1987, répondant au nom délicat de Scum. Depuis, les Napalm sont restés fidèles à eux-mêmes : défense et illustration d'un métal hyper violent, plus morbide que Slayer, plus noir que Carcass, plus speed que Sepultura. Portrait du charme discret du grindcore.


Fatalitas !
Mal-aimés, incompris, oubliés, bannis, les Napalm Death - sortes de Chéribibis du métal - n'ont jamais fait l'unanimité. Quatre siècles plus tôt, ils auraient même carrément péri sur un bûcher, aux côtés de quelques hérétiques. Napalm Death, c'est l'appellation contrôlée "cuvée diabolique" sur toutes les bouteilles. Shane Embury, bassiste de son état, s'explique : "La presse, à l'époque, était assez portée sur la mode. Prends le N.M.E., son truc a toujours été de suivre une tendance, d'être 'in'. Napalm Death était considéré comme une merde en Angleterre, un truc sorti de nulle part." Et Barney, maître brailleur de l'équipe, d'ajouter "surtout pour les catholiques". En 1981, la première formation apparaît à Birmingham : Justin Broadrick, Mick Harris et Nick Bullen, aux commandes (Broadrick partira ensuite fonder Godflesh et Head Of David). Les changements de personnels seront radicaux, nombreux et successifs. Harris sera le seul survivant de la deuxième mouture. Bill Steer, Jim Whitely et Lee Dorrian prendront la succession avant de quitter le groupe en 1989 pour fonder Cathedral, puis Carcass. Shane Embury, actuel bassiste, arriva fin 86. Ca va, vous suivez (Web : Shane est rentré très exactement en avril-mai 1987). Et comble de l'histoire : le groupe ne présente aucune discographie de 1981 à 1986 ! Maudits, on vous dit... Aujourd'hui, Shane explique le pourquoi du comment... "En 1986, Napalm n'était qu'un groupe local. On a pris dés lors une direction totalement différente. Avec de nouveaux musiciens, il y avait d'autres idées". Scum, un des premiers albums de grindcore, reste une référence du genre. En 28 morceaux, dont certains font moins de dix secondes, mélange audacieux de thrash metal, de punk (ils sortiront d'ailleurs le Nazi punks fuck off des Dead Kennedys en single) et d'indus, cet album est toujours ce qu'on trouve de plus violent sur le marché. Shane est aujourd'hui plutôt optimiste. "Notre musique a évolué, essentiellement parce qu'on a appris à jouer." Jesse Pintado (guitare, ex Terrorizer), Mitch Harris (guitare, papa depuis peu, ex-Righteous Pigs - aucun rapport), Mark dit "Barney" Greenway (hurleur acariâtre, ex-Benediction) arrivent en juillet 1989. "On voulait faire avancer le schmilblick, dépasser tout ce qui existait, être plus extrême que Slayer. C'est comme ça que les gens nous ont découvert, parce qu'on était pire que tout," reprend Shane, qui est le seul survivant de la période 1987. "Certains se contentaient de Metallica, nos on voulait un truc plus ultime. Quand notre premier album est sorti, on ne valait rien sur le marché, puis tout le monde a retourné sa veste pour finir par avouer qu'on avait écrasé Slayer."
Devant la froideur de l'accueil british (mais on commence à les connaître avec le temps), les Napalm décident de s'exporter. Et d'abord d'importer deux musiciens de Los Angeles, Jesse Pintado et Danny Herrera (batteur, dernier arrivé en 1991) pour redorer le blason. C'est que les Napalm Death ont toujours une image vénérable aux Etats.
"Ouais, on est allé les chercher loin ces musiciens. Quand, Shane et moi, on a repris le groupe en main, il y avait ce mecs qui faisait les mêmes riffs que Metallica. On ne voulait pas de ça chez nous, fallait trouver autre chose," se défend Barney. Donc deux allers simples L.A.-Birmingham, le groupe étant, malgré tout, attaché à certaines valeurs typically british (cheminées d'usine, pluie, thé, etc.), il n'était pas question pour eux de s'expatrier définitivement. Avis de Jesse, exilé : "Fallait qu'on aille vivre en Angleterre, c'était la condition sine qua non. C'est drôle parce qu'on venait d'un autre continent mais, en même temps, on a eu un feeling musical et humain immédiat." (le thé, les cheminées d'usine et le brouillard aidant sans doute ).

Naphtenate Palmitate
Avec les deux mercenaires yankees, les affaires de Napalm Death prendront ces dernières années un essor que personne n'espérait plus. Toujours est-il que, sans concessions, les "midlanders" sortent coup sur coup l'excellent From enslavement to obliteration, en 1988 (Scum n'est qu'une bagatelle comparé aux 54 morceaux de cet album - Web : encore des blaireaux qui ne se sont même pas aperçus que l'album Scum est contenu dans ces dits 54 morceaux... Pseudo journalistes), The Peel sessions en 1989 (un peu comme si Bernard Lenoir soutenait Massacra...), Harmony corruption en 1990 (leur album death metal), Death by manipulation en 1991 (compil de Eps) et Utopia banished en 1992 (LP controversé qui les mettra d'ailleurs au bord du gouffre). Mais ils sauveront leur peau en 1994 avec Fear, emptiness, despair. Avec le sourire. "On n'essaie pas d'être sombre. On parle de négativité, d'accord, mais à la limite, il s'en dégage un message positif." Aussi positif que l'enregistrement du dernier album avec Colin Richardson. "On a fait ça du côté de chez nous, c'était agréable de pouvoir rentrer à la maison le soir. C'est plus facile de bosser dans un environnement familier. Mais Colin était plutôt stressé par les derniers Fear Factory, Machine Head et Carcass." On le comprend (l'aurait pas un mauvais karma, le Colin, des fois ?). Ce pauvre garçon est justement l'un des points communs entre Napalm Death et Fear Factory. "Oui, mais on a appelé Colin avant eux, il y a quatre ans déjà qu'on travaille avec lui, depuis Utopia banished. Et les Fear Factory l'ont appelé parce qu'il avait bossé avec nous. Et ce que Dino ne t'a sans doute pas dit, c'est qu'on les a beaucoup influencés." rendons à César ce qui appartient à Napalm Death et les headbangers seront bien gardés, fouchtra !

Pintado fait sa cocotte
Il faut dire que Dino Cazares de Fear Factory et Shane se connaissent au moins depuis la naissance, en 1990, de leur groupe parallèle, Brujeria. Apparemment, ils ne partagent pas le même avis sur le devenir du death metal (cf interview de Fear Factory), Dino considérant ce style au bord de l'agonie. "Attends, il y a encore tellement de monde qui aime cette musique que ce n'est pas possible que le death soit mort. C'es vrai qu'il y a eu une période plus heureuse pour le death, mais moi, je suis encore accro." Mais la chair est faible, surtout celle des oreilles, et Shane avoue parfois écouter en boucle "20 greatest hits" de James Brown. Hou ! La honte ! Les Napalm Death n'ont d'ailleurs pas qu'un talon d'Achile à en juger par ces ultimes et, ma foi, bien touchantes déclarations : "En général, quand je suis sur scène, j'ai envie d'être ailleurs. Ce n'est pas une question de peur, mais de donner le meilleur de soi-même" avoue tout à coup un Barney qu'on a connu plus grande-gueule. Jesse-la-petite-pintade aussi, y va de son couplet. Limite hors-jeu : "Le plus dur, c'est quand la famille vient te voir. La dernière fois, mon père et ma sœur sont venus me voir, j'étais pétrifié". Toujours la même histoire finalement, des allures de pithécanthropes, mais un cœur gros "comme ça" les Napalm Death. Presque plus sains que Dorothée et Maureen Dor réunies. Comme quoi, il ne faut jamais se fier aux apparences.


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