INTERVIEW WORD OF MOUTH

Interview de Shane apparaissant sur le site Internet "Word Of Mouth", probablement réalisée début décembre 1995.


Voici la transcription de ma conversation avec le bassiste de NAPALM DEATH, Shane Embury. NAPALM DEATH a tourné tardivement une nouvelle page de son histoire, chose que je considère comme un break bienvenu par rapport au style de pures rafales broyantes qu'ils pratiquaient à la base. Voici ce que Shane avait à dire à propos du changement, du mini album "Greed Killing", de l'album à venir "Diatribes" et d'autres choses diverses.

Pourquoi avez-vous choisi (ou peut-être, pourquoi Earache a-t-elle choisi) de sortir un mini album [Greed Killing, qui sort actuellement] plutôt que de garder ces morceaux et de les mettre sur l'album [Diatribes, à paraître en janvier 1996] ?
Cela aurait fait trop de chansons pour l'album, je pense. Il y a encore deux morceaux que nous devons remixer. Nous avons enregistré 18 chansons d'un seul jet et quand il a fallu sélectionner la liste des morceaux pour l'album Diatribes, cela ne collait pas. Je veux dire que nous étions satisfaits de tous les morceaux, il s'agissait juste de savoir lesquels faire figurer. Nous aurions pu en balancer un paquet mais je pense que cela aurait été un album vraiment trop long. Je pense que l'attention que les gens déploient n'excède pas quarante minutes. A la base, nous devions sortir un single avant l'album mais quelqu'un a demandé : "Etes-vous intéressés par le fait de sortir un mini album ?". Nous avons extrait deux titres de l'album, mis ceux que nous ne pouvions garder sur le vinyle et les avons utilisé un peu comme la première et la deuxième partie. C'est comme un avant-goût tout de suite et le reste plus tard. Finalement, vous obtiendrez tout.

Le nouveau matériel semble plus...Je ne veux pas dire mécanisé mais plus précis. Plus rythmique.
Rythmique, oui, définitivement. Avec le dernier album [Fear, Emptiness, Despair], je pense que c'est la direction que nous avons emprunté. Nous ne voulions pas nous reposer sur le style traditionnel ancien. Je trouve ça chiant. Pas aussi chiant que ça mais c'est l'occasion d'essayer de se développer un peu plus. Nous allons mettre en place la grosse artillerie. Précis, je suppose que oui. D'une certaine façon, nous sommes devenus de meilleurs musiciens, nous avons appris à mieux jouer. Danny, notre batteur, s'est grandement amélioré depuis qu'il nous a rejoint. Et nous sommes très attentifs au rythme ou à des choses comme ça. Nous répétons vraiment dur pour cela. Danny répète à fond pour les albums, il est toujours en train de placer quelques petites choses ici et là. J'estime que cela vient de l'effort conscient d'être carré et précis par rapport à l'imprécision de nos premiers pas.

Bien. Donc tu dirais que c'est à la fois le résultat de l'ennui et de la maturité ?
Ouais. Je veux dire que nous jouons manifestement mieux. Ce n'est pas quelque chose que tu réalises consciemment mais c'est comme ça que ça marche, parce que tu t'améliores effectivement. Et en concert, c'est toujours aussi chaotique, nous avons toujours ce côté tranchant ; peut être est-il légèrement plus contrôlé sur disque, mais certainement aussi intense. Sa rigueur le rend intense.

Absolument. Je pense que ce matériel sera un peu plus cohérent également en concert.
Ouais, espérons-le.

Avez-vous déjà joué des chansons en live ?
Nous avons joué une paire de morceaux. Ca s'est vraiment bien passé jusqu'à maintenant. Le nouveau matériel que nous jouons en concert et que les gens n'ont pas entendu a tendance à obtenir la reconnaissance plus rapidement que le vieux matériel. Quand tu vas voir un groupe que tu n'as jamais vu auparavant, que tu te tiens en retrait, que tu le regardes et que tu le prends en pleine gueule...Nous avons participé à un festival au Danemark et nous avons joué "Take the strain" de l'album "Diatribes" et les gars sont devenus fous, ils ont capté le rythme de suite. C'est ce qui s'est passé également pour l'album précédent. Tu peux sentir une sorte de changement rythmique, c'est presque instantanément accrocheur mais ce n'est manifestement pas pop. Les choses ont tendance à te saisir un peu plus facilement. L'autre jour, un gars me disait " C'est du putain de matériel pour la fosse ".

Penses-tu que vous allez décevoir les gens en ne jouant pas à la vitesse démente que vous pratiquiez ?
Certaines personnes, j'en suis sûr. Mais c'est très disparate. On pourrait aligner 20 personnes contre un mûr et ils te diraient tous quelque chose de différent. Je connais des gens qui préfèrent le matériel du début et d'autres qui préfèrent le changement. Au final, tu ne veux décevoir personne mais tu fais ce que tu fais. Les compos rapides sont toujours là, même s'il y en a peu. Nous préférons utiliser cet aspect au minimum car nous pensons que cela donne davantage d'impact de cette façon. Au moins, nous avons la possibilité d'accélérer le tempo. Beaucoup de groupes ne le font pas du tout et continuent de garder ce genre d'allure. Je continues à penser que beaucoup de changements sont intervenus, cela rend le bourrinage plus varié. Mais quand tu arrives à ton 5eme ou 6eme album, tu peux difficilement faire exactement la même chose. Les mêmes personnes qui nous critiquent pour le fait que nous ne jouions pas aussi vite qu'avant nous critiqueraient probablement si nous ne changions pas du tout. Tu ne peux vraiment pas satisfaire tout le monde tout le temps. Heureusement, les gens rentreront dedans. C'est tout ce que je peux répondre.

Donc tu pense que le contraste entre les tempos des différentes parties des morceaux les rend plus efficaces ?
Je pense seulement qu'au bout d'un moment, tu t'en désensibilises. Il y a manifestement des gens qui ne veulent que ça. Quand j'avais 17 ans, je ne désirais qu'une chose : le truc le plus fou et le plus rapide qui soit. C'était moi : je n'étais content que quand tout était braillé et les nombreux groupes hardcore dans lesquels j'étais devaient être rapides. Mais en vieillissant, j'ai tendance à apprécier des choses différentes. Certaines des chansons que j'écris à l'heure actuelle ne comportent pas plus de quatre riffs, alors qu'avant, je n'étais content que quand la chanson en comportait seize au moins. Ce n'est pas nécessairement différent en bien ou en mal, c'est juste un changement. Mais je suis optimiste : c'est un bon changement et il est logique. Cela ne part pas d' "Harmony Corruption" à de tristes mélodies pop, cela reste toujours du matériel assez heavy. Pour être honnête, j'ai vraiment cessé de trouver ça extrême. A l'époque, je pensais que tous les groupes faisaient la même chose et balançaient des tempos qui auraient pu être ceux d'AC-DC. Quand autant de groupe font ça, c'est cool mais ça en est arrivé à un point où...je trouvais excitante l'idée de tout anéantir et ce n'est plus le cas maintenant. J'aime toujours le faire, cela me file toujours des frissons sur scène et une poussée d'adrénaline incomparable, mais quand il s'agit d'écrire des chansons, moi personnellement et Mitch [Harris, guitare] également devons l'utiliser modérément. Tu veux un riff destructeur pour mettre la pêche mais tu veux aussi faire impression en rendant tout cela original. C'en est arrivé à un point où je pourrais débiter trente riffs bourrins mais y en aurait-il au moins un de bon ? Tu dois sortir quelque chose de solide si tu veux te démarquer...Si tu vois ce que je veux dire...C'est dur à expliquer.

"Greed Killing" sonne comme "Immigrant Song"
[rires] C'est le style de rythmes que nous avons l'habitude de faire actuellement. Cela faisait partie d'une chanson vraiment longue, qui montait en intensité et j'étais là : "Tu sais quoi, Mitch ? Quand la chanson dépote, c'était vraiment ce que je préférais. Tu devrais juste commencer la chanson à ce moment". On a toujours eu envie d'utiliser ce rythme de Zeppelin de toute façon. Je lui ai juste dit : " Tu te rappelles de la ligne mélodique de début ? Jesse n'a qu'a partir comme d'habitude et toi, tu descends. Cet espèce de morceau mélodique est sorti de nulle part sans que nous n'ayons rien compris. Parfois tu t'étonnes de tes erreurs.

C'est le meilleur riff sur le mini album
C'est une nouvelle facette. Nous étions vraiment impliqués dedans. Jesse [Pintado, guitare] le dédaignait un peu mais il fait toujours ça et il est OK au bout d'un moment. Il a un rôle de médiateur, il essaie juste d'équilibrer la balance. Parfois ça l'inquiète mais quand il entend la chanson, il accroche. Mais cela nous ouvre de nouveaux horizons. C'est quelque chose sur lequel nous sommes tombés un peu par hasard et cela sonne vraiment bien. J'ai envie de faire quelques riffs de plus comme ça pour le prochain album. C'est une aire différente dans laquelle évoluer. Tu peux assortir une avalanche d'harmonies et avoir toujours une chanson heavy. Je pense vraiment que c'est dynamique. Le ton général de l'album découle de ça, il y a définitivement des humeurs dansantes sur l'album. Il y a des parties qui mettent la pression, pas de parties mièvres mais c'est comme si ça s'effondrait un peu et que c'était reconstruit à nouveau. Je pense qu'avec nos précédents disques, si l'on considère cela en termes de niveaux, on atteignait un certain niveau et on s'y maintenait constamment. Avec le nouveau, c'est comme si l'on mettait tout sans dessus dessous. D'une bonne façon. Nous avons envie de créer plus d'ambiances dansantes et de trucs comme ça. Cela va du pire bourrinage à une idée que l'on répétera du début à la fin.

Puisque tu réagis en terme d'ambiances, considères-tu chaque chanson comme ayant une ambiance spécifique ou essayes-tu d'en mettre plusieurs ?
Certaines en possèdent plusieurs. "Self betrayal" sur "Greed Killing" est un genre de morceau très lent. Il y a une chanson comme celle-ci sur l'album. C'est juste une humeur, presque de la dépression je suppose. Nous essayons effectivement de mettre plus d'une ambiance dans une chanson, en essayant de la relever puis de l'abattre. C'est dur à analyser complètement mais c'est ce que nous essayons de faire avec le dernier album, essayer de faire vraiment rentrer et sortir différentes pièces.

Tu as eu dans le passé de nombreux projets parallèles : Malformed Earthborn, Blood From The Soul, Meathook Seed. Est-ce que certains d'entre eux sont encore en activité ?
A propos de Malformed, cet album est sorti sur Relapse comme tu dois probablement le savoir. Danny Lilker me parlait la nuit dernière d'en faire un autre, à tel point qu'il se pourrait qu'il vienne en Angleterre. Sinon, tout est en activité. C'est juste que tu dois essayer et réévaluer presque tout. Malformed est vraiment ce qui pouvait m'arriver de mieux car il n'y a vraiment aucune limite, nous avons enregistré sur un 8 pistes dans une cave avec quelques samples et ça peut être n'importe quelle putain d'idée qui nous passe par la tête. Aucune barrière d'aucune sorte, nous n'avons pas à plaire à qui que ce soit. Habituellement, une fois que tu as fait ton premier disque, tu développes un public et c'est après que les opinions commencent à rentrer en jeu - ce qu'ils pensent que tu devrais et ne devrais pas faire. Mais je veux vraiment garder Malformed au niveau du 8 pistes. L'album que nous avons enregistré ("Defiance Of The Ugly By The Merely Repulsive" - le défi du laid par la répulsion pure) pour Relapse a coûté 70 $, ce qui est classique en ce qui me concerne, c'est cool (rires). Si c'était possible, je ferai un disque qui ne coûterait rien. Nous avons déjà passé le morceau n° 5 dans un club à Birmingham, juste après le single de White Zombie et le niveau d'enregistrement a surpassé la chanson de White Zombie, ce que je trouve stupéfiant car cette chanson a probablement dû coûté 100 000 $. Certains samples de Malformed étaient un peu crapuleux, mais c'était en quelque sorte le but de tout cela, quelque chose d'offensant je présume.
Le projet Blood From The Soul va probablement redémarrer, mais cela va être différent. Je suis plus intéressé par le fait de prendre ce style et de l'amener dans NAPALM. Je ne pense pas que ce soit différent de NAPALM à l'heure actuelle. Ce truc, c'est quelque chose que je voulais vraiment faire, jouer de tous les instruments pour voir si je pouvais le faire, je pense. C'est un de ces actes de réalisation personnelle. Il ne s'est pas vendu incroyablement bien, mais cela ne me dérange vraiment pas du tout. C'était seulement une question d'accomplissement personnel. Il fallait juste que je prouve que je pouvais le faire. C'était presque comme un truc sécurisant. Je jouais énormément de guitare. C'est un peu étrange à dire mais je me demandais "Peux-tu le faire réellement ?". Je voulais connaître les réactions de quelque chose qui était complètement de moi. Certains musiciens ont tendance à éprouver un peu un manque d'assurance à certains moments. Je sais que c'est le cas pour moi, mais pour Mitch et Jesse aussi. Les réactions furent effectivement assez bonnes, certaines personnes aimèrent, d'autres non. J'aimerai en faire un autre, mais ce serait probablement très différent. Il y a tellement de musiques différentes qui nous inspirent. Justin de Godflesh est comme ça. Si ton amour pour la musique est aussi fort, tu voudras tenter le coup pour tout un tas de choses. Tu entends un disque de techno complètement dingue et tu te dis, Ouah, j'aimerai faire quelque chose comme ça et tu le fais. Le fait de vendre ou de devenir populaire est secondaire. Tu essaies simplement de voir si tu peux le faire et de bifurquer vers cela. C'est très plaisant. Certaines personnes ont tendance à rater le but d'un projet parallèle, je pense. Instantanément, ils vont penser : oh, je suis fauché. Mais il est très rare qu'un projet parallèle ait quelque chose en commun avec ton groupe principal (au niveau financier). Ton groupe est une union et il y a quelque chose de spécial qui fait que cette union marche.
Le projet Meathook Seed est également quelque chose sur lequel nous voulons travailler. C'est plus le truc de Mitch mais il va m'y incorporer. Avec un peu d'espoir, nous pourrons finir l'album dans le courant de l'année prochaine. Nous allons faire quelque chose d'un peu plus instrumental, en utilisant des synthés et ce genre de choses. Il y a toujours quelque chose de nouveau. Je sais que Lee (Dorrian, vocaux) de Cathedral veut monter un groupe avec moi. Je suis OK pour monter un groupe avec lui mais c'est juste une question de temps.

A quoi cela va t il ressembler ?
[rires] Je ne sais pas, Il a vraiment des idées folles. Il veut vraiment du matériel hardcore rapide et en même temps des choses plus lentes et des parties d'ambient, ce qui est somme toute une combinaison assez bizarre. Il veut aussi que [Nicke Andersson, batterie] d'Entombed lui file un coup de main. J'en suis arrivé au point où je ne veux pas trop en dire, je veux juste le faire. Plus tu programmes le truc, plus tu en gâches la spontanéité.

As-tu d'autres projets prévus dans le futur ?
Quelques-uns. Je suis vraiment un gros fan de ce groupe nommé Coil, c'est un genre de groupe étrange instrumental ambient, très effrayant et très sombre. Leur prochain album va sortir sur le label de Trent Reznor. Je pense qu'ils voudraient que je joues de la basse sur un morceau. Ce serait intéressant car je ne sais vraiment pas comment ils travaillent. Il y a beaucoup d'idées, mais une fois de plus, c'est une question de temps. Un de mes amis fait cette sorte de délire trip-hop vraiment heavy et il voudrait que je fasses quelque chose avec lui, mais il y a beaucoup de discours et peu d'actions. Espérons que nous surmonterons tout ça une fois que le programme de tournée de NAPALM se serra éclairci.

A quoi va ressembler la tournée pour cet album ?
Hé bien je sais que samedi prochain (début décembre 1995), nous commençons une mini tournée en Europe, vraiment courte, juste sept dates, histoire de tester les réactions de la presse et faire d'une pierre deux coups. Et à la fin janvier, je pense que nous reviendrons dans le coin pour un mois environ, pour faire une tournée des petits clubs pour promouvoir l'album. Ne sélectionner que des petits clubs et voir comment ça se passe en général. Ce qui n'arrive jamais car d'habitude l'album sort et nous venons environ deux mois après. Ca serait sympa de voir ce qui se passe et d'arriver aux States alors que notre album sort effectivement. Puis ensuite nous ferons l'Europe mais nous voulons vraiment nous raccrocher à un autre groupe pour jouer devant un peu plus de monde.

Donc il n'y a personne de prévu [à l'heure actuelle] pour vous accompagner en tournée ?
Pour la petite tournée, il y a quelques groupes avec lesquels nous discutons, mais rien n'est décidé pour l'instant. Mais heureusement plus tard dans l'année, nous reviendrons avec un groupe plus gros. J'aimerai tourner avec Ministry ou un truc dans le style. Ce serait bien. Cela me semble très logique que NAPALM puisse jouer avec ces groupes mais pour certaines raisons, stratégiques ou autres... Heureusement, nous pouvons toujours choisir quelqu'un. Mais sinon, nous ferons probablement un autre putain de disque et une tournée en tête d'affiche.


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