SCREAMING BLOODY GRIND !

Interview de Bill Steer menée par Phil Pestilence, parue dans le Hard Rock Magazine de mars 1992.

N'hésitant devant aucun sacrifice, Hard Rock magazine a dépêché le plus vaillant de ses journalistes pour tenter d'amadouer quelques instants les musiciens de Carcass, emmenées par le grand cannibale en chef Bill Steer (ex-Napalm Death) et le nécrophage adjoint Mike Amott (ex-Carnage / Dismember). A déguster uniquement l'estomac vide !

Aussi évident qu'Helloween est le roi du plongeon et MSG celui du mauvais goût, Carcass est le seigneur de l'immonde. Les textes du groupe vont en effet si loin dans l'art de crédibiliser les scènes gore à grand renfort de détails anatomiques et de précisions organiques qu'un diplômé de médecine pourrait y réviser ses cours de faculté. A l'occasion de la tournée européenne "Gods Of Grind"qui réunit autour de nos habiles défenseurs de la cause anthropophage un triplet du label Earache composé de Cathedral, Entombed et Confessor, nous avons enquêté sur les atouts sanguinolents de Necroticism, troisième album (succédant au virulent Symphonies Of Sickness en 1989) d'un trio britannique devenu quatuor cannibalo-phonique. Rejoints début 1991 par l'Anglo-Suédois Mike Amott (ex-Carnage / Dismember), Carcass a passé l'année toute entière à préparer son grand retour dans les bacs à viande, signant avec cet album unanimement salué pour son aspect évolutif, la plus appétissante tranche de death metal qu'on puisse charcuter dans son assiette.

Sur Necroticism, ces carnassiers irrécupérables, bizarrement inconditionnels de Queensrÿche, Thin Lizzy et Smithereens, vont au moins aussi loin dans l'outrage que Napalm Death dans l'ultime et qu'Europe dans sa quête de Liebig. Sensation attendue, le premier clip vidéo de l'histoire carcassine, intitulé dans la meilleure tradition poétique "Incarnated Solvent Abuse". Le guitariste Bill Steer, ancien boucher chez Napalm Death et leader de Carcass, n'a, à son grand dam, jamais pu travailler ni à la morgue, ni aux abattoirs municipaux. Il avoue ses regrets à Hard Rock Mag !


Comment assumez-vous cette image odieusement gore que vous entretenez sur vos albums ?
Les gens attendent de nous une attitude que nous n'avons jamais cherché à imposer. Bien souvent, ils croient que nous aimons les films gore alors que c'est quelque chose que nous avons toujours trouvé grotesque et plein de clichés. Ce genre d'atrocités cheap ne me fait plus rire depuis bien longtemps. L'idée de Carcass, c'est de donner des émotions fortes aux gens, d'étaler des images répugnantes devant leurs yeux pour susciter une forme de dégoût. Le fait est que nous n'utilisons que des représentations d'organes humains et la force du concept, c'est justement d'horrifier les gens avec des reflets d'eux-mêmes.

Tous les critiques ont établi que, sur Necroticism, Carcass s'était enfin tournée vers le death metal. Votre avis ?
On ne s'est jamais considéré comme un groupe de quoi que ce soit. Notre musique est agressive, voilà tout. Maintenant, chacun peut interpréter ça à sa manière, on accepte tout. Le fait qu'on considère Metallica comme le représentant du thrash les a beaucoup aidés à une certaine époque. L'étiquette n'a pas d'importance, on n'est pas ce genre de groupe à se plaindre d'être enfermé par les médias dans une catégorie distincte. On s'en fiche à vrai dire...

Votre démarche musicale n'a pourtant rien de commun avec celles de Deicide ou Obituary...
Je continue à considérer Carcass comme un truc complètement en marge. Nous sommes un groupe dont l'esprit balance entre l'aspect volontairement complexe de certains groupes progressifs et le processus de radicalisation de la vague grindcore anglaise d'il y a quelques années. C'est pour cela que notre musique est une sorte de crossover ou de fusion. C'est très à la mode en ce moment.

Le fait d'associer une grande recherche de la musicalité à des passages foudroyants de brutalité n'est-il pas uniquement valable en studio ? Sur scène, on ne doit rien comprendre...
On n'a pas la prétention de jouer l'album note pour note en live. La situation est très différente sur une scène face au public. Les gens veulent des émotions, des poussées d'adrénaline. Un concert, c'est quelque chose d'urgent, de vivant... On a parfois tendance à nous reprocher un petit côté démonstratif parce que nos compos sont très fournies et très variées. Necroticism nous a demandé près d'un an de composition, c'est très long. Pour un musicien, l'aspect créatif doit être, sinon une priorité, du moins ce qui lui permet de se dépasser émotionnellement et psychologiquement, par opposition à la scène qui reste un truc d'abord physique.

Ne crains-tu pas que cette imagerie violente ne nuise à vos chances d'atteindre un jour un public plus large ?
Pour nous, ça a toujours été une question de : "Tu aimes et tu écoutes, tu n'aimes pas et tu t'en vas". Il est certain que ça nous ferme des portes. D'un autre côté, les gens veulent vivre des émotions de plus en plus fortes et connaître des expériences véritablement radicales. Notre musique a su évoluer dans un sens positif sur l'album, c'est à dire que sans changer de mentalité, nos progrès techniques individuels et l'arrivée d'un second guitariste nous ont entraînés vers une plus grande musicalité. Tout le monde s'attendait à ce qu'on se répète alors qu'on est allé plus loin, à la fois dans la violence et dans la mélodie.

Vous êtes réputés pour avoir l'esprit très ouvert musicalement, c'est toujours vrai ?
Quand tu aimes la musique, tes goûts t'entraînent forcément à expérimenter différents climats. Dans tous les styles, on sépare consciencieusement ce qui est valable de ce qui l'est moins. Le meilleur disque que j'ai pu écouter l'an dernier est certainement celui des Smithereens, Blow Up, et en matière de heavy metal, j'ai adoré Welcome To The Balls de Vicious Rumors.

Lorsqu'en 1989, tu as quitté Napalm Death pour Carcass, tu avais certainement une idée derrière la tête.
Je voulais créer un groupe dont la démarche soit nouvelle et la musique unique. En ce sens, Carcass a réussi. On ne ressemble à personne. Certains groupes qui se forment essaient de s'inspirer de ce que l'on joue et ça, c'est un grand compliment. Sur le plan financier, ce n'est peut être pas la même euphorie, mais qui sait si, avec le temps...


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