LA COUR DES MIRACLES
Interview de Lee Dorrian menée par Phil
Pestilence, parue dans le Hard Rock Mag de juillet 1993
Fan incontesté de Black Sabbath dont il revendique la lourdeur et la puissance, Cathedral, emmené par l'ex-chanteur de Napalm Death, se présente comme le renouveau d'un genre en perdition. Alors, pour qui donc sonne le glas ?
"Le death metal tourne en rond depuis trop longtemps
maintenant, s'exclame l'énigmatique Lee Dorrian. Le public se lasse de plus en plus des
groupes qui se bornent à jouer vite. La démarche de Cathedral est différente et, à mon
avis, plus originale. Je pense que nous sommes plus heavy que n'importe quelle formation
de death à l'horizon !". Visionnaire ou dément, Lee
Dorrian, ancien grogneur grind de Napalm Death (Scum en 1987 et From
Enslavement To Obliteration en 1988), a su en tous points rester fidèle à ses
récentes convictions doom.
Disciple forcené de l'extrême gravitation et adorateur de St Vitus, Pentagram, Trouble
et surtout... Black Sabbath version 70's, cet obscur vocaliste organisait, en 1989, une
horde ultra-heavy et antispeed avec son compère Griff (bassiste puis batteur) et les
ex-speedos d'Acid Reign, Gaz Jennings et Adam Leehan (guitares). Bien lui en prit car dés
ce miraculeux premier album, "Forest Of Equilibrium" (1991), rapidement
suivi du maxi "Soul Sacrifice" (1992), Cathedral devenait un groupe
culte doom universel, l'élève de Paradise Lost qui, en l'occasion, surpassait le maître
vénéré.
Féroces, glauques et d'une infinie tristesse, les quatre affreux forgerons (ils n'ont pas
de bassiste !) étrennent ces jours-ci avec l'assommant "The Etheral Mirror"
leur nouveau deal américain (encore un miracle) avec la major Columbia (Earache en
Europe). C'est d'ailleurs là-bas qu'en juin ils entameront leur tournée mondiale et
tourneront deux clips pour l'album, "Rise" et "Midnight
Mountain".
En attendant, revenons au début de l'année, lorsqu'après trois dates mémorables en
Israël et une campagne teutonne avec leurs héros (modèles ?) de toujours, Trouble, nos
gothiques bâtisseurs s'étaient mis en tête, les fous, d'élargir leur modeste
discographie. Les choses avaient pourtant assez mal débuté...
Lee Dorrian : On s'est pointé en studio avec seulement trois morceaux. Avant le studio,
on était totalement perdu. On ne savait pas quelle orientation suivre. On avait écrit
quatorze chansons mais lorsqu'on les a enregistrées sur maquette, un mois avant le début
de l'enregistrement, on s'est aperçu que la quasi-totalité des titres ne valaient
rien... On n'en a conservé que trois. Il a donc fallu en composer six autres en trois
semaines.
Et vous étiez persuadés que ces nouveaux morceaux
convenaient mieux ? Qu'est-ce qu'une bonne chanson pour Cathedral ?
Je crois que c'est la combinaison entre puissance et
mélodie. C'est certainement ça l'ingrédient principal. Cet album ressemble à un coup
de poing en pleine gueule, il est beaucoup plus direct que tout ce que nous avions fait
jusque-là.
L'énorme succès de Forest... ne suggérait
pourtant pas une évolution aussi nette entre vos deux disques.
Avec cet album, on souhaitait surtout ne pas s'enfermer dans
un ghetto, c'est à dire ne pas refaire un second Forest... Ce premier album
reprenait tous les styles qu'à titre individuel nous tenions à expérimenter à
l'époque où le groupe s'est formé. "The Ethereal Mirror" est très
différent. Les gens qui nous connaissent un peu, qui savent d'où nous venons et quelles
sont nos influences, comprendront mieux ce disque.
Tu juges donc que votre musique est plus facile à écouter ?
Oui, je pense. Mais on ne songe jamais au public quand on
écrit un titre. On ne pense qu'à notre propre satisfaction. On suit nos pulsions. Je
crois qu'on est plutôt introverti...
Ca signifie que vous utilisez la musique comme une forme de
thérapie. Une sorte de libération ?
Avant de faire ce disque, j'était à deux doigts de me
suicider... Non, en fait, ce type de musique lente et lourde est sans cesse notre seul
moyen de dire quelque chose. C'est la seule façon de toucher d'autres personnes.
Si l'on en croit votre style lancinant, vous semblez habités
par une tristesse chronique.
C'est plutôt une forme de mélancolie. Je crois que beaucoup
de jeunes partagent ce sentiment au quotidien parce qu'ils ne mènent pas la vie qu'ils
auraient souhaitée. Le seul moyen de se débarrasser d'un mauvais feeling, c'est de
l'exprimer. Notre démarche est totalement réaliste. Nous ne sommes pas un de ces groupes
bidons qui font semblant de faire la fête deux heures tous les soirs et qui replongent
dans l'angoisse après le show. Pour venir au bout du mal, il faut affronter le mal !
Cathedral s'adresse-t-il davantage aux amateurs de death
blasés ou aux fans originels (nostalgiques) de Sabbath ?
Je préfèrerais plutôt ceux de Sabbath. Pour moi, Sabbath
is God ! J'ai cru mourir le jour où j'ai appris que Ozzy rejoignait le groupe. Mon rêve
le plus fou serait un jour d'ouvrir pour eux...