SPIRAL ARCHITECT
Interview de Gary Jennings menée par Manuel
Rabasse, parue dans le Hard'n'Heavy de juin 1994
Lee Dorrian et sa troupe de "doom doom boys"
auraient-ils atteint le suprême en obtenant de tourner avec Black Sabbath, leur maître
à penser devant l'éternel ? C'est ce que laisse entendre à demi mots le doux rêveur
Gary Jennings, par ailleurs plutôt au fait de certaines de nos fiertés hexagonales
passées. Au diable à partir de là si l'édifice Cathedral apparaît quelque peu
chancelant par instants !
Lee Dorrian est certainement le plus heureux des hommes. Celui qui ralentit le métal
jusqu'à l'immobilisme sur le premier LP de son groupe Cathedral est parvenu à décrocher
la première partie de cette tournée printanière 94 en compagnie de Black Sabbath,
remercié dans les crédits de ce Forest Of Equilibrium d'anthologie. Une
évidente filiation qui ne se dément pas depuis que l'homme quitté Napalm Death en 1989
pour grossir les rangs des zélateurs du culte Sabbathien et du doom-metal en général
aux côtés d'anciens plénipotentiaires d'Acid Reign.
Ca ne l'empêche pourtant pas d'être d'une humeur exécrable en ce samedi après-midi,
quelques heures avant de monter sur la scène de l'Elysée-Montmartre pour une grande
première parisienne, peu disposé à disserter sur Statik Magik, le nouvel EP
quatre titres de Cathedral bougrement intéressant. C'est donc Gary Jennings, guitariste
et second membre fondateur, qui s'y colle.
Alors, comme sont-ils , Black Sab' en vrai ?
Insupportables ?
Pas du tout ! Pourquoi veux-tu ? Ca fait maintenant 25 ans
qu'ils font ce business. Alors, les crises d'ego, c'est fini depuis longtemps ! Du moment
qu'on ne vient pas leur casser les couilles toutes les deux minutes avec des questions
idiotes, tout se passe très bien (rires) !
Ce sont un peu des grands frères, non ?
C'est sûr que Black Sabbath est une sacré référence pour
nous. On est tous un peu intimidés pour l'instant, c'est le début de la tournée et on
en a pour deux mois. Personne n'a donc envie de tout gâcher dés le début ! A côté de
ça, la situation présente des avantages au niveau du public. Il n'est en effet pas trop
surpris par ce que l'on fait, même s'il y a une certaine démarcation dans notre musique
depuis deux ou trois ans.
Un changement d'orientation effectif en fait dés le
deuxième album, The Ethereal Mirror, où des morceaux plus complexes et
d'inspiration généralement début 70's venaient s'ajouter à quelques titres d'une
pesanteur archétypale. La palette vocale de Lee Dorrian s'est elle aussi élargie d'une
manière encore plus radicale sur Statik Magik. Aux précédentes tendances
qu'avaient développées Cathedral s'ajoute en effet un goût "déraisonnable"
pour les morceaux à tiroir outrageusement étirés.
"The voyage of the homeless sapien" fait
24 minutes et se divise en sept parties. Qu'est-ce que c'est, ce délire ?
Si tu as lu les notes de pochette de nos albums, tu as du
voir qu'on citait un tas de gangs progressifs 70's dans nos influences, aussi bien des
grands noms comme King Grimson que des trucs plus obscurs comme ce groupe français,
Sandrose. Ce morceau se raccroche évidemment à certains titres de Genesis comme
"Supper's ready" (ndrl : morceau de près d'une demi-heure qui occupe la
quasi-intégralité de la deuxième face de Foxtrot, le quatrième album de la
formation de Peter Gabriel en... 1972 !). Il y a bien longtemps qu'on a décidé de n'en
faire qu'à notre tête. On craint beaucoup plus de s'ennuyer que de se faire traiter de
prétentieux.
On ne doit pas s'ennuyer chez toi ! Qu'est-ce qui défile sur
ta platine ?
Je peux très bien m'écouter un vieux Black Sabbath et puis
mettre un disque de folk anglais, genre Pentangle. Après ça, pourquoi pas Saxon ou un
disque de Sortilege, le groupe de hard français. Et puis un petit Discharge avant d'aller
boire un coup ! La musique est avant tout un divertissement, c'est crétin d'établir des
barrières. C'est un peu dans l'idée d'ouvrir l'esprit des gens qu'on met toutes ces
références sur nos notes de pochettes. Si quelqu'un qui aime notre musique voit le nom
de Mellow Candle dans un de nos disques, il aura peut être envie d'acheter le CD s'il le
voit dans une boutique.
Un état d'esprit résolument passéiste qui se verra
confirmer par la prestation scénique d'un Cathedral affichant un compteur bloqué sur
70-72. Reste que, de ces années grindcore, Dorrian a conservé un net penchant pour les
produits bruts, ce qui fait de Statik... une curiosité passionnante et,
paradoxalement, résolument moderne. C'est dans les vieux pots...