LA MACHINE A REMONTER LE TEMPS

Interview de Lee Dorrian et Brian Dixon menée par Manuel Rabasse, parue dans le Hard'n'Heavy de décembre 1996/janvier 1997

Cathedral est un groupe fascinant. Et ce malgré ou à cause d'un aspect franchement caricatural que les musiciens entretiennent sciemment ou non. Il est vrai que le style vocal de Lee Dorrian, le leader chanteur, et si excessif, si outré, qu'on pourrait facilement le renvoyer dans un institut pour personnes mentalement déficientes, d'autant plus si on a l'heur d'assister à l'une des prestations scéniques de Cathedral où Dorrian, non content d'arborer les pantalons pattes d'eph' les plus grotesques de ce côté-ci de Robert Plant, déploie un sens de la mimique et de la grimace qui peut laisser songeur quant à son coefficient intellectuel ou à sa capacité d'éviter les failles dans le continuum espace-temps. Que le garçon soit réellement "possédé" ou qu'il se prenne simplement pour la réincarnation de Ronnie James Dio (qui n'est pas mort), cela n'a finalement que peu d'importance. Parce que Cathedral, tout au long des quatre albums et des quatre EP's qui jalonnent sa carrière, a su se forger une authentique personnalité et, coup de chance, trouver par là même un public, malgré ou grâce à l'anachronisme récurrent de sa démarche. Qui plus est, le musicien est réellement charmant et c'est avec un plaisir sans faille que Hard'n'Heavy est allé à sa rencontre à l'occasion de la sortie de Supernatural Birth Machine, le nouvel album de Cathedral. Accompagné de Brian Dixon, le batteur, Lee Dorrian n'a pas hésité à nous conter les pérégrinations de sa formation, à travers les lieux et les âges.


ATYPIQUE
Avant d'aborder l'inévitable sujet du nouvel album, il paraît intéressant de s'arrêter un instant sur le EP que vous avez sorti il y a quelques mois, Hopkins (Witchfinder General). On y trouve des choses particulièrement atypiques, entre autre ce curieux et très bel instrumental, "Copper Sunset". D'où sort-il donc ?
Lee : Le titre original du morceau n'est pas "Copper Sunset". Il s'appelle "To Take Him Away" et c'est un extrait de l'album de Sandrose, un groupe français progressif des années 70 (auteur d'un unique et rarissime album sur CBS en 1972).

Encore un truc que Gary (Jennings, le guitariste. Une genre d'encyclopédie vivante des seventies) a sorti de sa collection ?
Exact. Mais j'ai aussi ce disque. Il est excellent. La chanteuse est formidable. C'est une sorte de classique de l'underground...

Et ce machin-là, "The Devil Summit". Vous faites du funk, maintenant ?
Ca, c'est parce que nous sommes tous des cinglés de Parliament et Funkadelic, tout ce funk un peu "sale" du début 70's. C'est un morceau quasiment improvisé. Nous aimons bien utiliser les EP's pour expérimenter des choses, satisfaire notre curiosité. Cela nous permet d'exprimer les côtés les plus excentriques de notre personnalité pour nous concentrer plus pour les albums et y cultiver notre côté heavy. C'est la section rythmique du groupe de ska The Selecter (ce sont mes voisins) qui jouent sur ce titre.
"Purple Wonderland", c'est notre fixation pour la new-wave sombre du début des années 80. Joy Division, Sisters Of Mercy, March Violets. J'étais méga-fan de Siouxsie & The Banshees. Je suis allé les voir quatre soirs de suite en 1982, à l'époque où Robert Smith des Cure remplaçait le guitariste.
Brian : Nous faisions une reprise de "Metal Postcard" de Siouxsie avec mon premier groupe. "Ra ta toum, ra ta ta ta ta toum..." !

Bien sûr, les seventies, certes les eighties, mais que pensez-vous de nos belles années 90 ?
Lee : Pas grand-chose. On dirait qu'il y a des millions de groupes mais qu'ils sont très unidimensionnels. Tout est très catégorisé, noir et blanc. Regarde la scène black metal. Il en sort tous les jours et ils sonnent tous de la même manière. Pareil pour le death-metal au début des années 90. Je sais qu'il y avait aussi un nombre incommensurable de groupes dans les années 70 mais, me semble t-il, chacun possédait une véritable individualité, une liberté de création qui nous a sûrement influencés.

LES BELLES ANNEES
Cet individualisme vous assure à la fois un statut particulier et un succès en progression constante qui vous évite un effet de mode sans doute peu sécurisant à long terme...
C'est stable (100 000 exemplaires de The Carnival Bizarre, l'album précédent, vendus dans le monde). Et réparti un peu partout. Ce n'est pas comme si nous étions des stars dans un pays particulier. Nous sommes un groupe "culte" dans plein d'endroits différents. Cela nous permet de continuer à jouer et à faire des disques. Nous avons encore trois albums à enregistrer pour Earache Records et si nous pouvons continuer encore quelques années, j'en serai vraiment heureux

Même si vous conservez une inspiration "fantastique", Supernatural Birth Machine semble plus inspiré par la science-fiction pure...
Oui et non. En fait, il y a une chanson sur Supernatural..., "Urko's Conquest" qui s'inspire directement du film La Planète Des Singes. Cette série de trois épisodes m'a toujours fasciné et cela fait longtemps que je voulais écrire une chanson qui s'en inspire directement. Les paroles racontent le scénario de manière assez conventionnelle. Nous l'avons simplement interprétée d'une manière un peu satirique, comme si c'était réel. Une sorte de cauchemar... Le contenu de l'album est à peu près le même que précédemment. Disons qu'il est traité d'une manière plus universelle, plus "cosmique", entre autres dans la manière dont je prononce les mots. Il s'agit en fait de considérations personnelles sur la réalité traitées sur un mode abstrait. C'est ce que nous avons toujours essayé de faire...


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