L'HERITAGE DE SABBATH
Interview de Lee Dorrian menée par Alain
Lavanne, parue dans le Hard Rock Mag de juin 1994
Présenté comme l'un des fers de lance de la nouvelle
vague britannique que l'on n'attendait plus, Cathedral, mené de main de maître par ce
fêlé de Lee "Pat' d'éph" Dorrian vient de réaliser son rêve en ouvrant pour
la tournée européenne de ses idoles de Black Sabbath. Entretien avec celui pour qui le
temps s'est arrêté dans les 70's.
Cathedral est assurément un groupe à surveiller de près. Sur les talons de Paradise
Lost, le gang du chanteur Lee Dorrian réhabilite le heavy metal en le rendant toujours
plus lourd mais aussi en prenant le meilleur des années 1970. Si le premier LP, Forests
Of Equilibrium (1991), manquait un peu de diversité dans sa volonté de sonner le
plus lourd et le plus monolithique possible, son successeur, l'excellent The Ethereal
Mirror (1993) proposait un métal toujours aussi heavy mais autrement mieux composé
et arrangé. A tel point que, pour certains, Cathedral fait figure de sauveur du heavy
metal britannique. L'avenir dira si cette assertion glorieuse n'est pas un peu
prématurée. Pour l'heure, Cathedral se paye le luxe de tourner avec son modèle Black
Sabbath et de sortir un EP quatre titres (dont trois inédits), Statik Magik,
dont la durée excède les quarante minutes ! Décidément, Cathedral n'en fait qu'à sa
tête. Car derrière ses airs de hippie total, le frêle Lee Dorrian affiche une
résolution inébranlable à imposer sa conception bien particulière du heavy metal
version doom.
Tu n'as jamais caché ton admiration pour Black Sabbath.
Je suppose qu'ouvrir pour eux sur leur tournée européenne est en quelque sorte un rêve
devenu réalité pour toi, non ?
Totalement ! Tous autant que nous sommes dans le groupe,
quand nous avons commencé à faire de la musique, nous ne nous imaginions pas nous
retrouver sur la même scène qu'eux un jour. Ce groupe représente une influence majeure
pour chacun d'entre nous et ce, depuis des années.
Quelles ont été les activités de Cathedral depuis la
sortie de votre second LP, Ethereal Mirror ?
Nous avons énormément tourné. En tête d'affiche en
Europe, avec Sleep et Penance, aux Etats Unis en première partie de Mercyful Fate puis en
ouverture de Fight. Les mecs de Fight sont vraiment très sympathiques et cette tournée a
été la plus réussie que nous ayons faite - tu imagines aisément quel plaisir c'était
de côtoyer Rob Halford ! Quand nous sommes rentrés en Europe après la tournée avec
Mercyful Fate, notre guitariste Adam Lehan et notre batteur Mark Wharton ont décidé de
quitter Cathedral. Je pense qu'ils ne supportaient plus les tournées intensives. C'est
pourquoi j'ai fait appel à Vick Griffin et Joe Hasselvander à la guitare et à la
batterie. Ils jouent tous les deux dans un groupe américain que j'adore, Pentagram (ndrl : deux albums ont été réédités sur Peaceville et Cathedral
reprenait un titre de Pentagram sur sa première démo In Memoriam). Je ne peux pas vous dire à l'heure actuelle s'ils vont pouvoir ou
vouloir rester au sein de Cathedral. Pour l'instant, nous nous concentrons sur cette
tournée, nous verrons ce qu'il adviendra ensuite. Avec tous les changements de personnel
que le groupe a connus depuis sa naissance, j'ai appris à ne pas trop réfléchir à
l'avance problèmes, sinon cela deviendrait infernal ! J'allais oublier : juste après la
sortie de Ethereal Mirror, nous avons du trouver un bassiste pour remplacer Mark
Griffiths, il s'appelle Scott Carlson.
Quelles ont été les réactions du public américain
vis-à-vis de votre musique ultra heavy ?
En fait, nous avions déjà joué aux Etats Unis sur la
"Campaign For Musical Destruction Tour" avec Carcass, Brutal Truth et Napalm
Death. L'accueil avait été bon parce que le public était très ciblé et venait aux
concerts en connaissance de cause. Quand nous avons tournée avec Fight puis Mercyful
Fate, nous ne jouions pas devant notre public, nous devions convaincre les gens tous les
soirs. Le public de Mercyful Fate était parfois réservé parce qu'il est relativement
conservateur : certains fans de Mercyful Fate ont tendance à avoir une conception
précise et restreinte de ce que doit être le heavy metal. Par contre, le public de Fight
nous a très bien accueilli.
Le fait que vous soyez désormais distribué là-bas par une
major, Columbia, s'avère t-il positif ?
Il y a énormément d'avantages mais aussi quelques
inconvénients. Ce qui est bien, c'est que Columbia dépense pas mal d'argent pour la
promotion et la distribution. Mais parfois, ils claquent de la thune dans des conneries
parce qu'ils ne savent pas toujours comment présenter Cathedral. Il y a quelques erreurs
que nous ne voulons pas voir se reproduire, c'est pourquoi nous allons nous efforcer de
mieux contrôler tout cela à l'avenir. Il va juste falloir que Columbia comprenne qu'ils
travaillent pour nous et non pas le contraire !
A propos de votre nouveau EP, Statik Magik, qui
vient de sortir, comment se fait-il que les trois nouveaux titres aient été enregistrés
en août 1993 et qu'ils ne paraissent qu'au début 1994 ?
Nous avons bel et bien enregistré ces nouvelles compos en
août 1993 mais, à cause des tournées, nous n'avons pu les mixer qu'en janvier 1994. Ce
délai n'est pas très gênant puisque la sortie de Statik Magik correspond avec
cette tournée européenne avec Black Sabbath. D'une part, cela va relancer l'intérêt
des gens vis-à-vis de Ethereal Mirror, d'autre part, cela permet aux fans de
constater que nous avons pas mal progressé depuis le dernier album.
En plus de "Midnight Mountain" qui
figurait sur Ethereal Mirror, il y a donc trois nouveautés sur Statik Magik. Commençons
par "Hypnos 164"...
Musicalement, je dirai qu'il y a une influence de Black
Sabbath époque Never Say Die. Les paroles parlent de rêves d'animaux, de la
race humaine, de sa capacité de destruction : c'est très étrange ! Quant au titre, je
lisais un livre qui contenait un passage sur l'hypnose à la page 164, c'est aussi bête
que cela ! Ensuite, il y a "Cosmic Funeral" qui est un titre assez
long, très lourd, très lent. Les paroles décrivent une éclipse totale qui est le
symbole de la fin du monde.
Nous en arrivons au dernier titre, "The Voyage Of
The Homeless Sapien" : comment vous est venue l'idée d'écrire une chanson qui
dure plus de 22 minutes ?
Nous ne voulions pas forcément faire une chanson aussi
longue au départ. Mais au fur et à mesure que nous l'écrivions, nous trouvions beaucoup
d'idées qui se combinaient bien avec celles qui existaient déjà. En fait, l'esprit de
cette composition est proche de celui des groupes progressifs des années 70. Il y a
beaucoup de thèmes et d'atmosphères différents qui créent des contrastes
intéressants. Il y a des parties très lourdes, d'autres très calmes, acoustiques, il y
a des passages récitatifs. Il ne faut tout de même pas prendre ce morceau trop au
sérieux, nous n'avons pas voulu être prétentieux, juste un peu ambitieux. C'est la
même chose pour les paroles - il n'y a pas vraiment de concept et il est préférable que
les gens fassent l'effort de les lire pour se faire leur propre idée.