INTERVIEW DE SCORN

Interview de Mick Harris menée par Steven Fievet au cours de l'année 1995

Le groupe anglais Scorn, en ce moment, est le projet d'un seul homme consistant en la personne de Mick Harris. Encore récemment, le groupe était un duo, mais le bassiste Nick Bullen vient de partir.

J'ai obtenu il n'y a pas longtemps deux nouveaux disques de Scorn intitulés Evanescence et Ellipsis. J'ai trouvé ces deux disques (tous les deux sortis sur le label Earache) différents et très rafraîchissants par rapport à tout le reste de la musique électronique. Cela est dû au fait que la musique ne sonne pas programmée et informatisée. Au lieu de ça, les parties électroniques, sauvages, ont un son très organique, sonnant très souvent de manière atonale mais jamais déplaisante à l'oreille. La combinaison de ces parties électroniques bizarres posées en couches et de ces tempos de batterie très apaisants, presque acid-jazz, est instantanément agréable, et pourtant cela n'est pas si accessible que ça pour le grand public.

Mick Harris était récemment à New York pour une série d'interviews et j'ai eu la chance de pouvoir lui parler...


Je n'avais pas réalisé que tu étais anglais...
Qu'est-ce qui te faisait penser que j'étais d'une autre nationalité ?

Je ne connaissais pas encore Scorn il y a deux semaines. D'où viens-tu exactement ?
Je suis de Birmingham, qui se situe à l'intérieur des terres. Je ne suis pas du sud. Je ne suis pas de Londres. Je déteste Londres, putain. Je déteste tous ceux qui font de la musique là-bas. Ils peuvent tous aller se faire voir. Ils ne m'ont jamais aidé. Pourquoi donc aurais-je envie de les aider ? Je viens de l'intérieur des terres. Je suis né là-bas, j'ai grandi là-bas... et j'en suis content. Je pense qu'il y a une certaine attitude qui va de pair avec les grandes villes. Spécialement à Londres. C'est la pire. Ca fait vraiment chier, sérieusement. Je déteste ça. Honnêtement. Ils ne m'ont pas accordé de place. Je n'ai pas à leur en donner. Pourquoi faire ? Mais non, à dire vrai, ils ne m'ont pas vraiment aidé.

Quel âge as-tu ?
28 ans cette année.

Parle moi du groupe...
J'ai quitté Napalm Death en juin 1991 pour former quelque chose de différent... un groupe utilisant les machines et l'électronique au même titre que des instruments live. Beaucoup d'instruments live ont été éliminées progressivement pour la simple raison que dans ce projet, j'aime travailler avec les machines.

Qu'en est-il du nom du groupe ?
Scorn est un nom qui m'est venu à l'esprit lorsque j'ai quitté Napalm Death. Ca ne signifie pas grand chose pour moi. Je cherchais quelque chose de court. J'aimais plutôt ce que le sens du mot 'scorn' (méprise)... être méprisant et mépriser quelqu'un. Peut être que je me suis senti un peu méprisé, vu la manière dont j'ai été traité dans Napalm Death. Peut être que cela avait quelque chose à voir avec ça. Je cherchais quelque chose de court, de doux et d'assez fort, et Scorn me plaisait.

Tu as formé le groupe en 1991 avec Nick Bullen ?
Il n'est plus dans Scorn. C'est un projet solo maintenant, il n'y a plus que moi. C'est arrivé il y a à peine six semaines, donc beaucoup de gens sont encore choqués, moi-même y compris...

Je suis sûr que tu survivras. Ta musique sonne comme celle d'un survivant.
Cela devait arriver. J'espère que Nick mettra de l'ordre dans ses idées. Il n'était plus dans la musique. Il m'a dit que le dernier truc qu'il avait en tête était la musique, donc j'espère qu'il mettra de l'ordre dans ses idées. J'espère vraiment. J'ai aimé tout ce qu'on a fait ensemble. Il y a eu quatre albums y compris les remix, trois singles... Maintenant, je dois aller encore plus loin. Je veux commencer un nouveau disque dés que je serai rentré de ce voyage et j'aimerai qu'il sorte en octobre cette année.

Donc il n'y a plus que toi dans le groupe et ceux que tu choisis pour jouer avec toi sur scène ?
Exactement. Et ça marche. J'enlève l'aspect visuel car Scorn n'est pas fait pour être regardé. Nous jouons sur une scène complètement sombre et noire. J'ai juste assez de lumière pour voir ma machine. J'aime ça. J'aime l'ambiance que crée la musique de Scorn.


Peux-tu nous décrire les concerts ?
Et bien, ils sont très hypnotiques. Ils sont assez lourds. Il y a du groove, des sons... Toutes sortes de choses se passent... les rythmes sont énormes... c'est sans fin... c'est décousu. Nous jouons généralement une heure... Je commencerai avec des sons, puis un rythme arrivera. Les choses s'ajoutent et disparaissent. C'est moitié moitié... C'est improvisé, mais il y a aussi une partie en playback qu'on peut utiliser ou laisser de côté... elle peut être dupliquée... arrangée, etc. Donc, je ne sais pas trop. C'est assez différent du disque mais il y a de belles images abstraites qui vont avec. Ca fonctionne.

J'ai décrit ta musique comme de l'acid jazz électronique. Comment la définirais-tu ?
Je ne sais pas. Je déteste mettre des étiquettes sur ce genre de trucs. C'est juste expérimental. J'expérimente avec l'électronique. C'est vraiment tout ce que je peux dire à propos de Scorn. A toi de te faire ton opinion. Chope ta propre ambiance, regarde ce que ça évoque pour toi. Au bout du compte, c'est ce que Scorn représente... Créer la musique qui me rend heureux, celle dont je tire beaucoup de sentiments. Je ne veux pas que cela soit mal perçu et qu'on dise que je n'en ai rien à faire des autres, mais pour moi, Scorn vient en premier. Je pense à ce qui me rendra heureux... Je ne me dis pas, " Oh, ils ne vont pas aimer ça ". Ce n'est pas comme ça que j'écris ma musique.

Ce que j'aime dans ta musique, c'est qu'elle ne sonne pas programmée...
Je travaille d'une façon assez minimale... et je me repose fortement sur beaucoup de processing. C'est tout ce qui caractérise Scorn. Des lignes de basse simplistes... et puis certains bourdonnements et des sons samplés qui rentrent et sortent de ce mélange. C'est plutôt aléatoire, mais ça a ce son de machine que j'aime bien. Mais je ne pense pas que ça sonne à 100 % comme une machine. J'aime beaucoup sampler en live.

Beaucoup de parties de batteries sont live, non ?
Certaines le sont. D'autres en donnent l'impression, comme lorsqu'on fait une boucle de batterie de deux mesures et qu'on la balance dans un échantillonneur après l'avoir samplée. C'est ce que j'aime. J'aime cette chaleur. Je ne me repose pas uniquement sur les synthés. Je n'en utilise pas. J'utilise un sampler, un sequencer et des effets. Et maintenant, je dois utiliser un synthé-basse car Nick n'est plus là et je ne désire pas lui trouver de remplaçant. Je veux continuer tout seul à expérimenter et à explorer la musique électronique. C'est une bonne manière de s'exprimer dans des façons très variées... Oui, je suis influencé par plein de choses, mais en même temps, je pense à faire mon propre truc. Et j'en tire un plaisir extrême.

Ca me fait du bien d'écouter ta musique.
Moi aussi. Je n'ai absolument aucune attitude. Beaucoup de gens te diront ça de moi. Il n'y a aucun intérêt à avoir une attitude. Si tu as une attitude, ce n'est même pas la peine, putain. Je suis une personne très calme. J'ai des sentiments mixtes parfois, je suis légèrement paranoïaque de temps en temps. J'aime la façon dont je fonctionne. Je suis vraiment excité par le fait de bosser sur le prochain disque de Scorn. Ce sera la première fois que je ferais tout moi-même. Il va me falloir tout écrire, tout enregistrer et tout mixer moi-même. C'est un défi en soi. Je n'ai peur de rien. Je n'ai rien à craindre. C'est un bon challenge. C'est une aventure, et c'est comme ça que la musique devrait être. Pour l'instant, je n'ai rien écrit. Je me pointerai en studio et je me lancerai. Je peux déjà dire aux gens que ce sera un disque très fort parce que mes idées sont fortes. Je ne vais pas m'appesantir sur les idées. Si tu commence à passer trop de temps dessus, tu perds l'idée que tu avais à la base.

Ce que tu fais ne sonne pas commercial...
Ce n'est pas ce que je vise. Le nouveau disque va être VRAIMENT barré. Je ne dis pas que je veux faire un truc spécialement barré... ce n'est pas ça... mon anglais n'est pas très bon et j'ai du mal à trouver le mot que je cherche... mais quelque chose de bien plus profond. Quelque chose qui t'emporte encore plus loin. Scorn est une machine à voyager qui prend chaque auditeur et l'emmène dans un endroit différent. Miles Davis, c'était un très bon voyage musical pour moi. Cela m'a toujours amené vers quelque chose de différent et j'en ai toujours tiré une certaine beauté et c'est ce que j'essaye de créer avec Scorn. J'espère que les choses continueront. Tant que je serai impliqué et que je contrôlerai le déroulement des choses, je pense que les choses s'amplifieront et que les idées seront bien meilleures. Bon sang, tu ne peux pas savoir si tes idées fonctionnent ou pas tant que tu ne t'es pas préparé à les expérimenter.

On a l'impression que tu es beaucoup plus concerné par le succès artistique que par le succès commercial...
Bien sûr. Je suis à la recherche d'idées et j'essaye de faire quelque chose de frais.

Comme vous le voyez, Mick a des idées très arrêtées en ce qui concerne sa musique. Toutefois, on ne s'en rendrait pas compte en écoutant Scorn, car la musique sonne très spontanée... comme si les sons et les rythmes arrivaient accidentellement. Qu'il ait la capacité de faire quelque chose aussi calculé et aussi bien pensé, tout en restant spontané, c'est ça, la magie de Mick Harris.

J'ai vraiment eu l'impression qu'il ne suit pas l'attitude et la mode inhérente au milieu du rock. Au contraire, il donne l'impression de faire de la musique par pur amour de la musique... et finalement, c'est ce qui compte vraiment.


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